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ajoute : « autant que ces navires pourront être reconnus, » et il explique pour quels motifs il sera difficile de les reconnaître. C’est parce que le gouvernement anglais a donné l’ordre à ses navires de commerce d’arborer un pavillon neutre. Au premier abord, l’argument fait impression sur ceux qui ne sont pas habitués aux usages de la mer. Cette substitution d’un pavillon neutre à un pavillon belligérant est passée dans la coutume, et tout le monde l’emploie. Elle a pour but d’empêcher qu’un navire de commerce soit traité d’une manière sommaire et de mettre le vaisseau de guerre qui l’aborde en demeure de ne rien faire avec précipitation, c’est-à-dire sans inspection de la cargaison, de l’équipage, etc. Tel est pourtant le prétexte sur lequel l’Allemagne s’appuie pour décider qu’un navire neutre pourra être torpillé et coulé sans avoir été reconnu, sans avoir été averti. Et cela est monstrueux !

Le mot blocus n’est pas dans le Memorandum, mais, à défaut du mot, il y a la chose : il y en a du moins l’intention. C’est bien le blocus complet de l’Angleterre, de l’Ecosse et de l’Irlande, sans parler du Nord de la France, que le Memorandum entend établir d’un trait de plume. Dans la guerre maritime, lorsqu’un blocus est établi contre un port ou contre une étendue de côtes, et qu’il a été officiellement notifié, aucun navire ne doit le forcer. S’il essaie de le faire, c’est à ses risques et périls : il peut, suivant les cas, être confisqué ou coulé. Seulement, pour qu’un blocus produise ces effets, il doit être effectif, c’est-à-dire s’appuyer sur une force suffisante pour se faire respecter. Celui de l’Angleterre, de l’Ecosse, de l’Irlande et du Nord de la France est-il effectif dans les conditions où l’Allemagne l’a décrété ? Où donc est la force qui le rendra tel ? Il est hors de doute qu’elle n’existe pas : l’Allemagne n’a pas un assez grand nombre de sous-marins pour lui donner ce caractère. Ici se présente une complication. Autrefois, lorsqu’un port ou une étendue des côtes était bloqué, on voyait les navires qui rendaient le blocus effectif. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Les navires de guerre allemands sont soigneusement cachés dans les fleuves, dans les canaux, dans les ports : les torpilleurs et les submersibles font toute la besogne. La guerre terrestre consiste surtout, à présent, à se battre sous terre, et la guerre maritime à se battre sous l’eau. L’inconvénient, en ce qui concerne le blocus, est que, les engins de guerre qui y servent échappant au regard, il est à peu près impossible de s’assurer de sa réalité. Un navire de commerce s’avance donc en pleine confiance ; il ne voit rien à la surface de l’eau ; le danger qui le