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menace n’est pas apparent. Soudain, il reçoit une torpille dans ses œuvres vives et coule à fond sans avoir reçu aucun avertissement, sans avoir été mis à même de recueillir son équipage dans ses canots. Une clameur de désespoir s’élève vers le ciel insensible et tout est dit. C’est une violation outrageante du droit maritime et des lois de l’humanité. Même si le blocus est effectif, le navire qui le viole peut être saisi, confisqué, mais non pas détruit, à moins de résistance de sa part et, même alors, il ne doit l’être qu’après que l’équipage a eu le temps de se sauver. Le Memorandum allemand n’entre pas dans ces distinctions. Il déclare zone de guerre une immense étendue de mers. Sus aux navires, quels qu’ils soient, qui entrent dans la région interdite !

La guerre maritime avait déjà assez de rigueurs cruelles ; mais là, comme ailleurs, l’Allemagne a innové, faut-il dire dans le sens de la barbarie primitive ? Non, car la barbarie primitive, n’étant pas savante, ne connaissait ni les torpilles, ni les mines flottantes, ni les submersibles. Il a fallu que les découvertes et les inventions de la science tombassent entre les mains d’une race brutale, orgueilleuse et impitoyable, pour que nous en venions aux raffinemens d’aujourd’hui. Et quel est son but ? L’Allemagne ne s’en cache pas, c’est d’affamer l’Angleterre, de l’empêcher de se ravitailler. C’est, dit-elle, la peine du talion : je fais contre les autres ce qu’ils font contre moi. Soit : nous ne contestons pas ici la légitimité du but, mais celle des moyens. Jamais il n’est venu à l’esprit de l’Angleterre, dans l’hypothèse où elle aurait le droit de couler un navire de commerce, de le faire sans avertissement préalable et sans avoir donné à l’équipage le temps de se sauver. Jamais il ne lui est venu à l’esprit d’user d’un vain prétexte pour traiter les navires neutres comme les navires ennemis. Il a fallu que l’Allemagne fût arrivée à ce point où le vertige de la puissance n’a plus aucun contrepoids moral, pour qu’elle enfantât de pareils projets. Et elle semble les trouver tout naturels ! Elle les présente comme un juste retour des violences qu’on exerce contre elle ! Enfin, on voit réapparaître, à la fin du Memorandum, la même illusion, que la guerre sera d’autant plus courte qu’elle sera plus sauvage. « Cela est d’autant plus à espérer, y lisons-nous, qu’il doit être de l’intérêt des Puissances neutres de voir terminer, le plus tôt possible, cette guerre destructrice. » Que ce soit de leur intérêt, les neutres n’en doutent pas, mais ils commencent à comprendre que se soumettre à toutes les volontés de l’Allemagne n’est pas le meilleur moyen de le servir. La protestation contre le Memorandum s’est