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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/10

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Dans sa langue maternelle, Guillaume II a une éloquence naturelle, imagée et pompeuse. A peine était-il sur le trône, que son amour de la parole s’est révélé par des manifestations oratoires de tous genres : toasts, speechs, réponses à des adresses, allocutions militaires à des recrues de l’armée et de la marine, pendant les continuels déplacemens dont il a pris l’habitude en sillonnant son empire dans tous les sens, en parcourant en yacht toutes les mers d’Europe et en prodiguant ses visites aux États monarchiques. Quelques-uns de ses discours sont des modèles du genre impérial, mais son assurance comme orateur lui a fait prononcer plus d’une fois, dans le feu de l’improvisation, des phrases sentencieuses, inopportunes ou maladroites, qui créaient une sensation de malaise ou de révolte aussi bien en Allemagne qu’à l’étranger : pensées audacieuses, présentées sous une forme originale, mais en contradiction avec le sentiment public, fruits hâtifs d’un tempérament trop impulsif. L’âge l’a quelque peu corrigé de ses imprudences de langage. Le texte des allocutions est, d’ailleurs, maintenant revu et expurgé par le cabinet civil de Sa Majesté, avant d’être livré à la publicité. Le besoin de claironner ainsi sa pensée se combine chez lui avec un goût prononcé pour les attitudes théâtrales, lorsqu’il se sait le point de mire de tous les regards, c’est-à-dire dès qu’il paraît en public, quoique dans son intérieur il ne manque ni de bonhomie, ni même de simplicité.

Certes, l’Empereur est un homme bien doué, intelligent, instruit. On a toutefois l’impression, quand on cause avec lui, qu’il n’a qu’une connaissance superficielle de certains sujets sur lesquels il se plaît à discourir.

N’en soyez pas surpris. Malgré sa rare faculté d’assimilation, Guillaume II n’est pas un esprit universel, capable, avec un égal bonheur, de parler politique, industrie, commerce, agriculture, musique, peinture, architecture, que sais-je encore ? de omni re scibili, car il ne craint pas de s’aventurer sur les sentiers escarpés des sciences proprement dites. Peut-être eût-il mieux fait, au lieu de se dépenser dans tant de domaines différens, de concentrer ses études sur la politique étrangère et de chercher à se rendre compte personnellement du véritable état des esprits dans les pays voisins de l’Allemagne. Ses interlocuteurs n’auraient pas eu ainsi l’inquiétude de constater qu’il acceptait comme articles de foi des opinions préconçues et