Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Duroc. Mais, soit qu’il ait senti le danger d’être captivé par cette sirène, soit qu’il ait fait à Joséphine le sacrifice de son sentiment, il rompit bientôt de lui-même la liaison. L’Impératrice n’en conserva pas moins sa lectrice, dont la coquetterie s’exerça dès lors sur les hommes de sa Cour et qui y trouva un consolateur.

Tout autre et bien plus aimante fut la comtesse Walewska. Napoléon l’avait connue en Pologne, où elle s’était portée spontanément au-devant de lui comme vers le Messie chargé du salut des Polonais. Elle était petite, blonde, délicate, dans l’éclat de ses dix-huit ans, dans la candeur d’un cœur droit rempli tout entier par le patriotisme le plus ardent. On l’avait mariée à un vieillard fort riche, un aïeul pour elle plutôt que son époux, et ce n’était pas l’amour qu’elle lui portait qui pouvait l’empêcher de se donner à l’Empereur, mais bien ce qu’il y avait en elle d’angélique et de virginal. Il s’étonna de rencontrer une résistance à laquelle il n’était pas habitué. De leur côté, les Polonais travaillaient à la lui donner pour maîtresse, dans l’espoir qu’elle servirait leurs intérêts auprès de lui. Il fallut tous leurs efforts pour amener dans le nid de l’aigle cette colombe effarouchée.

Napoléon avait alors trente-huit ans, l’âge où les hommes s’éprennent d’autant plus volontiers des jeunes femmes qu’ils sentent leur propre jeunesse leur échapper. En revenant en France, il laissa Marie Walewska en Pologne, sans doute dans l’intention de la faire bientôt venir à Paris ; mais les années qui suivirent furent pour lui si pleines de choses, que force fut de renvoyer à plus tard cette affaire d’amour. En 1809, revenu à Schœnbrunn, il avait fait vers la Pologne la moitié du chemin ; Marie Walewska fit vers lui l’autre moitié. Un enfant naquit de ce rapprochement, et cette naissance la conduisit à Paris, où elle vécut non pas absolument éloignée de la Cour, mais du moins fort retirée. En 1814, elle se rendit à l’île d’Elbe avec son jeune fils, qu’on prit pour le Roi de Rome, tandis qu’on la prenait, elle, pour Marie-Louise déguisée. Mais telle était la sévérité de l’Empereur pour les mœurs, qu’il ne voulut pas qu’elle y restât. Elle est morte très malheureuse en 1817, après avoir épousé, l’année d’avant, un cousin de l’Empereur, le général d’Ornano.

Le divorce de l’Empereur marque l’époque à partir de laquelle