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il appartint tout entier aux raisons politiques et n’accorda plus la moindre part de son temps au sentiment. Il est singulier qu’alors, en réfléchissant au passé et en faisant pour ainsi dire l’examen de sa vie, il ait découvert au fond de son cœur la vraie tendresse qu’il ne pouvait s’empêcher de porter à Joséphine. Il lui écrivait, il allait la voir, au point que la nouvelle Impératrice s’en montra jalouse. Elle s’était fait une règle d’imiter en tout Joséphine, et, comme elle, de ne jamais quitter son époux. Napoléon lui en savait gré. Elle était fort médiocre, et cependant elle aurait été tout ce qu’il fallait qu’elle fût, si les circonstances n’avaient pas changé. Elle aurait rappelé, selon la Reine, cette insignifiante, à la mort de qui Louis XIV a pu dire : « Voilà le premier chagrin qu’elle me cause. » Elle avait une belle taille, de la fraîcheur, de la douceur, et finalement s’était un peu formée pour le monde, mais n’était ni jolie, ni gracieuse, ni spirituelle. Il convenait à l’Empereur qu’elle ne se mêlât de rien. Elle lui avait donné un fils, c’était tout pour lui. Joséphine voulut voir cet enfant et Napoléon le fit conduire en cachette à Bagatelle, où elle se rendit. Elle le caressa longuement en disant : « Cher petit, tu ne sauras jamais tout ce que tu me coûtes ! »

Le chagrin de Joséphine mettait entre Hortense et Marie-Louise comme un mur de glace et les empêchait de se rapprocher l’une de l’autre. L’empereur d’Autriche, averti par Metternich, avait dit à sa fille au moment où elle quittait Vienne pour Paris : « La princesse Pauline est la plus belle femme de la Cour. La reine de Naples a de l’esprit. Mais la reine Hortense est la seule personne de la famille avec qui vous puissiez vous lier. » Cette liaison restait impossible, quoique Marie-Louise, se conformant aux instructions paternelles, fit à la Reine de fréquentes visites, parût à tous les bals donnés rue Cerutti et vînt pour deux jours entiers à Saint-Leu. Elle prit à la fin pour amie la duchesse de Montebello.

La duchesse était très belle, de la meilleure tenue du monde. Retirée de la Cour à la mort d’un mari qu’elle adorait, elle vivait à l’écart avec ses cinq enfans, son père et sa sœur ; Corvisart et Isabey, ses amis intimes, formaient avec les personnes de sa famille sa seule société. Le choix de l’Empereur, la rappelant à la Cour auprès de Marie-Louise, fut généralement approuvé. On comprit qu’en mettant dans une place de cette