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Le jeune comte Walewski est venu vers neuf heures du soir et s’est rencontré avec lady Dudley. Au premier abord, il rappelle étonnamment l’Empereur, dont il a les beaux yeux lumineux, mais avec une expression de physionomie plus douce, plus tendre, où la Heine retrouve Marie Walewska.

Il était à Genève, où il achevait ses études, quand l’insurrection polonaise éclata ; il se rendit alors à Varsovie, figura à la bataille de Grochow, et revint à Londres avec MM. Vielopolski, et Zamoyski, chargés tous trois de négocier une intervention de l’Angleterre. L’appui politique qu’il recherchait lui a été refusé. Il s’occupe à présent d’un emprunt, pour lequel il n’éprouve pas moins de difficultés. Le Prince était donc très injuste en disant de lui : « Que vient-il faire ici, ce joli cœur, tandis qu’on se bat en Pologne ? » Le comte Walewski, plus généreux, a loué avec entrain le dévouement dont nos princes ont fait preuve pour la cause italienne.

La Reine lui contait ses tourmens, ce qui, par un détour singulier, la distrait et la réconforte. Lady Dudley copiait un dessin d’album, et, tout en causant avec moi, donnait, a parte, une larme à son malheureux cousin Napoléon. Le comte parti, elle nous a fait veiller jusqu’à minuit, en mettant la conversation sur les bizarreries de lady Holland. Croirait-on qu’en apercevant pour la première fois le jeune Walewski, cette napoléoniste enragée s’est écriée : « Comme vous ressemblez à votre père ! » Elle s’est attirée par-là cette repartie : « J’ignorais, madame, que le comte Walewski eût l’honneur d’être connu de vous. » Elle rend son entourage très malheureux, et cependant son mari l’adore : il a poussé la condescendance jusqu’à se faire arracher une dent devant elle, pour lui faire voir qu’un dentiste, mandé par elle, avait le talent nécessaire.

Le Prince, rentrant de Covent-Garden, nous a interrompus en ce point. La pièce qu’il avait vue n’était rien qu’une suite de tableaux, résumant chacun une époque de la vie de l’Empereur. Les Anglais ayant supprimé l’acte de Sainte-Hélène, qui se donne à Paris, la toile du spectacle s’était baissée sur la scène des adieux de Fontainebleau. Les yeux du Prince étaient encore tout rougis par les larmes, et ses traits, creusés par l’émotion, étaient jaunes à faire peur.