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avait lui-même quitté Anvers dans la nuit. Il ignorait que la résistance était à bout de souffle, que l’évacuation des troupes avait commencé. Nos marins n’étaient pas mieux renseignés. Le contre-amiral Ronarc’h, qui les commandait, croyait mener sa brigade à Dunkerque : on lui avait donné huit jours pour la former et l’organiser sur le pied de deux régimens (six bataillons et une compagnie de mitrailleuses). Tout était à créer, les cadres, les hommes, les services. Tâche ardue, compliquée par le défaut de cohésion des élémens de la brigade et les changemens continuels de cantonnement (Creil, Amiens, Saint-Denis). Mais l’idée n’était venue qu’assez tard de former des bataillons de marche avec nos marins. L’article 11 de la loi du 8 août 1913 permettait bien de « verser à l’armée de terre les inscrits maritimes en excédent aux besoins de l’armée de mer, » mais les modes d’utilisation de ces contingens n’avaient pas été nettement définis : d’où une certaine prévention contre les bataillons de marche. Le ministre passa outre et fit bien. 70, les glorieuses leçons du Bourget et du Mans, lui avaient appris ce qu’on peut attendre de la coopération des marins avec l’armée de terre. Quelque préparation y était requise assurément. Par définition, une marine est faite pour naviguer, ce qui explique qu’on y néglige un peu l’école de bataillon : les hommes habillés de frais, « capelés, » comme ils disent, à la nouvelle mode, bérets sans pompon[1], vareuses remontantes et sans col, il fallait encore en faire des soldats ; si débrouillards que soient les marins, une certaine roideur de mouvemens, dans les premiers jours, trahissait l’inexpérience de ces oiseaux de mer auxquels on rognait les ailes et qu’on engonçait par surcroît dans de grosses capotes d’infanterie. Presque aussitôt, d’ailleurs, la brigade ralliait le camp retranché de Paris ; elle venait à peine d’y prendre ses cantonnemens que son chef recevait l’ordre de la tenir prête à partir pour Dunkerque où se formait une nouvelle armée. Dunkerque n’était pas encore menacé : la brigade y pourrait achever son organisation. L’ordre portait la date du 4 octobre. Le 1 au matin, la brigade embarquait à Saint-Denis et à Villetaneuse avec ses convois.

« Nous sommes confortablement installés dans des wagons

  1. On rétablit par la suite les pompons, jugés d’abord trop voyans : des confusions regrettables s’étaient produites et les bérets de nos hommes ressemblaient trop, à distance, aux « calots » des troupes allemandes.