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avait dû le satisfaire. Il serra la main de l’amiral : c’était le roi des Belges[1].

D’autres nouvelles arrivaient du front, qui étaient de nature à nous inspirer confiance. Malgré la chute de Lille, nos armées du Nord avaient pris l’offensive de Roye à la Lys, avec un succès marqué : du quartier général anglais ordre était donné au premier corps de se concentrer à Ypres, d’où il essaierait de se porter dans la direction de Bruges[2]. Ce mouvement stratégique avait même reçu un commencement d’exécution et la cavalerie française qui venait d’enlever Clercken pouvait être considérée comme l’avant-garde du corps de sir Douglas Haig. Elle demandait à l’amiral de la faire appuyer en flanc pour continuer sur Zarren et Thourout. L’amiral détacha immédiatement vers Eessen le commandant Mauros avec un bataillon du 2e régiment et deux auto-mitrailleuses belges. La route était libre, jonchée de cadavres de chevaux, même de soldats, comme après une retraite précipitée[3]. L’ennemi semblait s’être volatilisé. Mais, à Eessen, l’église, dont il avait fait son écurie, comme il fera de l’église de Vladsloo une sentine, par vieux goût huguenot du sacrilège, gardait les traces toutes fraîches de son passage[4]. Ces fumées de la bête ne nous renseignaient pas sur la direction qu’elle avait prise. Plusieurs routes s’ouvraient devant elle. Le plus vraisemblable est qu’averti du mouvement de la cavalerie française l’ennemi se retirait sur Bruges par Wercken ou Vladsloo. À tout hasard, le commandant Mauros s’était installé en halte gardée à Eessen pour y attendre le jour, cependant que deux régimens de goumiers, qui avaient été mis pour la circonstance à la disposition de l’amiral et qui assuraient sa liaison avec le gros du corps opérant sur Thourout, partaient en fourrageurs vers Bovekerke et les bois de Couckelaere. On atteignit ainsi la matinée, et l’exécution du plan français semblait devoir se poursuivre normalement, quand un terrible coup de boutoir de l’ennemi, sur un point où on ne l’attendait pas, vint brusquement tout compromettre.

  1. « Celui-là est un roi modèle. Je l’ai vu parcourir les tranchées ; ça, c’est un homme. » (Lettre du marin A. C…, 30 octobre.)
  2. Cf. Rapport du maréchal French. On sait que ce mouvement, prononcé le 21 octobre, fut arrêté sur la ligne Zonnebeke-Saint-Julien-Langermack-Bischoote.
  3. « Sur notre route plusieurs chevaux abattus et quelques morts jonchaient le sol. » (Lettre du fusilier F. L. F…, du Passage-Lanriec.)
  4. Communication de M. l’abbé Le H…