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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/235

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anglais s’adresse encore plus au gouvernement allemand qu’au gouvernement américain. L’Angleterre serait-elle donc si coupable de vouloir affamer l’Allemagne ? Sir Edward Grey rappelle à ce sujet qu’aucune Puissance n’a soutenu plus énergiquement que la Grande-Bretagne le principe que les belligérans doivent s’abstenir d’arrêter les vivres destinés à la population civile ; mais, en 1885, dit-il, quand les gouvernemens anglais et français ont discuté la question, Bismarck, dont l’opinion fut sollicitée par la Chambre de commerce de Kiel, répondit en ces termes : « La mesure dont il s’agit a pour but le raccourcissement de la guerre en augmentant les difficultés de l’ennemi, et c’est une mesure justifiée en temps de guerre, si elle est appliquée impartialement contre tous les vaisseaux neutres. » Nous reviendrons dans un moment sur cette question des vivres : épuisons d’abord la question maritime. À la demande américaine, l’Allemagne oppose un refus pur et simple. Elle est résolue, dit-elle, « à supprimer par tous les moyens à sa disposition l’importation du matériel de guerre en Angleterre et chez ses alliés. Elle espère que les neutres ne s’y opposeront pas. Dans ce dessein, elle a proclamé une zone de guerre qu’elle cherchera à fermer autant que possible avec des mines, et a décidé de détruire les navires marchands hostiles par tout autre moyen en son pouvoir… Les navires neutres qui se hasarderont dans la zone de guerre en porteront eux-mêmes la responsabilité. Celle-ci ne peut être acceptée par le gouvernement allemand. » Ainsi le gouvernement américain et le gouvernement allemand se renvoient mutuellement la responsabilité de ce qui peut arriver. Entre deux points de vue aussi différens, aussi opposés, il semble bien que la solution ne puisse pas intervenir seulement avec des mots : tous ceux-ci ont d’ailleurs été épuisés. Il n’y a donc plus qu’à attendre. On n’a pas attendu longtemps : le steamer américain Evelyn, qui transportait du coton de New-York à Brème, a heurté une mine au Nord de Borkum. Un navire norvégien, le Belridge, a été torpillé. Nous ne parlons pour le moment que des navires neutres : les pertes anglaises sont plus considérables, mais elles ne le sont pas assez, et il est à croire qu’elles ne le seront jamais assez pour diminuer dans une proportion très sensible la force navale du pays. « Durant ces trois derniers mois, disait M. Winston Churchill dans un discours récent, 8 000 navires anglais sont restés constamment en mer : il y a eu 4 465 arrivées et 3 609 départs dans le Royaume-Uni : 19 vaisseaux seulement ont été coulés par les navires allemands : 44 ont coulé pour d’autres causes ; or, de 1793 à 1814, nous