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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/248

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la même confession parmi la domesticité du palais. Protectrice zélée d’une religion qui décline dans la patrie même de Luther, elle a entrepris de combattre la marée montante de l’athéisme, l’envahissement de la libre pensée s’étendant comme un linceul sur la foi agonisante des grandes villes. L’extirpation dans les consciences de la semence religieuse est l’œuvre de la sociale démocratie, qui la poursuit avec succès chez les classes ouvrières, en même temps qu’elle sape les institutions monarchiques. Contre l’ennemie acharnée des vieilles croyances de l’Allemagne l’Impératrice s’efforce de lutter, en faisant construire de nombreuses églises. On en voit s’élever aux principaux carrefours des nouveaux quartiers de la capitale, temples de briques rouges d’un gothique vague ou dénaturé et d’une insignifiance architecturale déconcertante. Jamais l’effort de l’architecte ne se hausse à la reproduction vraiment fidèle des beaux styles chrétiens. La plus riche église du nouveau Berlin, la Kaiser Wilhelm Gadächtniskirche, — celle-là, par exception toute en pierres, — n’est qu’un pastiche assez lourd du roman et du byzantin mélangés. La religion n’a pas gagné à cette profusion de sanctuaires ce que l’art y a perdu. Les progrès de l’athéisme ou de l’indifférence en matière de foi marchent de pair, dans les villes industrielles, avec ceux du socialisme, à la grande douleur de l’Impératrice.

Ce serait une erreur de s’imaginer que cette mère de famille, cette personnification, sur le trône impérial, de l’Allemagne protestante, est une pacifiste. Quand l’Empereur, après vingt-cinq ans de règne, est sorti brusquement de la voie droite et paisible qu’il s’était tracée au début pour le bonheur de ses sujets, sa compagne, sûrement, n’a pas tenté de l’y retenir. Le patriotisme allemand avec ses rêves de domination obsède aussi ce placide cerveau de femme. La guerre matribus detestata n’a rien qui l’effraye ou qui lui fasse horreur, fendant la crise d’Agadir, alors que toute la cour de Berlin frémissait d’impatience de se mesurer avec la France ailleurs que dans un champ clos diplomatique, la souveraine a partagé le désir qu’elle sentait palpiter autour d’elle : « Allons-nous donc toujours reculer devant les Français et supporter leurs impertinences ? » disait-elle d’un ton de reproche à M. de Kiderlen, qu’elle n’aimait pas.

L’Impératrice, elle aussi, a sa part de responsabilité dans le drame de 1914.