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II

On a beaucoup parlé du Kronprinz depuis quelques années, ce qui n’était pas assurément pour lui déplaire. On lui a attribué, au moment où la guerre apparaissait à l’état de menace, une influence décisive sur les événemens. C’est lui, affirmait-on, c’est ce jeune homme de trente-deux ans qui a été dans la coulisse le véritable Deus ex machina de toute l’affaire. Idole de l’armée, il a imposé sa volonté et celle du corps des officiers à son père encore indécis. Il faut mettre à néant cette légende. Le Kronprinz n’a mérité


Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité.


Au physique, un officier de cavalerie légère, mince de taille, étroit de buste. On ne retrouve plus en lui le type habituel des Hohenzollern à la forte carrure et au visage régulier. Dans cette figure très juvénile, le front est fuyant, les traits ont quelque chose d’indécis, et le regard ne décèle pas une vive intelligence, tandis que le corps paraît plus souple que fort et martial. Apparence trompeuse ! Le prince est un vigoureux officier et un enragé sportsman. Polo, tennis, football, hockey, golf, yachting, tous les sports lui sont familiers. Il imitait volontiers les Anglais avant la guerre et posait pour l’Allemand anglomane. Son père a dû lui défendre de monter en steeple-chase, car le risque d’une chute doit, à tous égards, être épargné à un prince héritier, mais il n’a pas pu lui interdire les prouesses de l’aviation. De tous les fils de Guillaume II, le Kronprinz parait être le plus militaire ; cela ne veut pas dire qu’il possédera jamais la capacité d’un chef d’armées.

On n’aperçoit en lui, à première vue, aucun trait de ressemblance avec l’Empereur, mais on en découvre ensuite plus d’un dans le caractère. Moins instruit, moins cultivé, moins universel, mais tout aussi volontaire, il a hérité de l’impétuosité.paternelle et de l’irrésistible besoin d’épancher librement sa pensée. Une lignée d’impulsifs (plötzlich), voilà ce que les Hohenzollern d’à présent, bien différens de leurs ancêtres, ont donné à l’Allemagne.

Le Prince a l’âme d’un sabreur ou, du moins, il s’en vante.