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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/265

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fait d’un philosophe patriote et indépendant, c’est le fait d’un courtisan philosophe.


VII

Quitter Rome pour Berlin, le beau palais Caffarelli sur le Capitole pour le modeste pavillon affecté dans la Koniggraetzerstrasse au logement du secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, le ciel léger et le gai soleil de la campagne romaine pour les brumes froides de la Sprée, et, par-dessus tout, perdre une quasi indépendance pour devenir le serviteur assidu de l’Empereur et le conseiller habituel du chancelier, c’est un dur sacrifice à exiger d’un diplomate allemand, lorsqu’il est parvenu, jeune encore, au comble de ses ambitions et à l’apogée de sa carrière. Aussi comprend-on que M. de Jagow ne se soit pas résigné sans résistance aux honneurs ministériels, et qu’il n’ait recueilli la.succession de M. de Kiderlen que sur l’ordre réitéré de Guillaume II.

Le nouveau secrétaire d’Etat était, paraît-il, l’enfant gâté de la haute société de Rome. Mais possédait-il l’art difficile de lire dans l’âme des ministres italiens et de pénétrer leurs secrets ? L’expédition de Libye a été préparée, sans que l’ambassadeur de l’empereur allemand, du membre le plus important de la Triplice, en ait eu connaissance. On l’a placé, comme ses collègues, devant un fait accompli, tant on craignait à la Consulta le veto du gouvernement impérial à cette première tentative de démembrement de la Turquie, cliente et protégée de l’Allemagne. Malgré cela, depuis la rentrée de M. de Jagow à Berlin, jamais le crédit de l’Italie n’y parut plus solide. Elle y possédait, maintenant, disait-on, deux représentans au lieu d’un : l’ambassadeur de S. M. le roi Victor-Emmanuel et le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, fidèle à ses sympathies italiennes.

Cette grande amitié entre Rome et Berlin n’a pas empêché le Cabinet du Quirinal de garder la neutralité dans la guerre des nations. Il est vrai que M. de Jagow avait rendu aux Italiens la monnaie de leur pièce, en ne les informant pas du complot tramé contre la Serbie, et qui devait avoir de dangereuses conséquences pour leurs intérêts dans la péninsule balkanique, pour le maintien de l’équilibre entre les ambitions autrichiennes et leurs propres aspirations. Les trois Puissances étaient tenues