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Ce prince des rois, roi encore tout nouveau, a moins de le nommer en toutes lettres, on ne peut guère le désigner plus clairement. Tout le monde sait donc quel est l’auteur de l’Examen ou Essai critique. Personne ne le conteste, quoique personne ne l’avoue. Il faudra que trois quarts de siècle aient passé pour que, dans un factum étrange, dont l’intention de parti est trop évidente, — Machiavel commenté par Non Buonaparte, manuscrit trouvé dans le carrosse de Buonaparte, après la bataille de Mont-Saint-Jean le 18 juin 1815, un anonyme qu’on sait être l’abbé Aimé Guillon (de Montléon) essaie de jeter le doute là-dessus.

« Voltaire, insinue l’abbé, Voltaire qui, pour en devenir l’oracle, se formoit, en Angleterre à l’école anti-monarchique des Milton, des Collins, des Pope, y publia bientôt (en 1740) cet Antimachiavel, qu’il faisoit regarder comme l’ouvrage d’un Roi ; et la faction philosophique triomphoit en présentant, dans ses rangs, un Monarque déclamant lui-même contre tous les moyens préservatifs des trônes. Cependant ce même Roi, avançant dans sa brillante carrière, acquéroit le nom de Grand en suivant précisément la même politique et les mêmes systèmes qu’il passoit pour avoir combattus avec sa plume. Dédaignant de confondre cette erreur autrement que par sa glorieuse conduite, il en fit bien assez pour achever de détromper le public, et même pour honorer Machiavel, en prouvant que cet ouvrage étoit étranger à ses productions littéraires, lorsqu’il permit qu’on en imprimât le recueil de son vivant. Les éditeurs de la nouvelle collection, qui en fut publiée après sa mort, donnèrent à Voltaire le même démenti. Néanmoins, cet Antimachiavel, encore favorisé par la même illusion, avoit encore l’effet que la faction s’en étoit promis ; et il avança plus qu’on ne croit les affaires de ces philosophes régénérateurs, par qui déjà les souverains étoient dénoncés aux peuples comme des tyrans dont il faudroit bientôt secouer le joug, ou enchaîner la puissance. »

Des deux argumens, l’un psychologique, l’autre bibliographique, l’un de fond, l’autre de circonstance, sur lesquels parait se fonder cette conclusion téméraire, négligeons le premier pour l’instant : l’occasion nous sera donnée un peu plus loin d’éprouver sa solidité. Le second, spécieux en 1816, quand l’abbé Guillon de Montléon s’en servait, s’écroula en 1648