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lorsque parut, à Berlin, chez Rodolphe Decker, imprimeur du Roi, le tome VIII de l’édition officielle des Œuvres de Frédéric le Grand (tome premier des Œuvres philosophiques de Frédéric II, roi de Prusse), qui contenait non seulement le texte autrefois imprimé par van Duren, mais le texte original de la Réfutation du « Prince » de Machiavel, d’après les autographes tirés soit des archives royales du Cabinet, soit de la collection de M. Friedlaender, le tout garanti exact sous le sceau de M. J.-D.-E. Preuss, historiographe de Brandebourg. Cette fois, l’auteur était pris la main sur la plume et sur l’écritoire. Si jamais peut-être cas de conscience royale ne fut plus singulier, paternité d’esprit ne fut jamais plus certaine.


La preuve en est écrite dans quarante-six lettres de Frédéric à Voltaire ou de Voltaire à Frédéric, dans la correspondance de Frédéric avec Mme du Châtelet, avec Jordan, avec Algarotti., C’est le 31 mars 1738 que le nom de Machiavel apparaît pour la première fois en ce commerce épistolaire. Frédéric vient de recevoir la copie de l’Histoire du siècle de Louis XIV que Keyserlingk, familièrement « Césarion, » a rapportée de son ambassade à Cirey. Il en fait avec grâce compliment à Voltaire :

« Votre Histoire m’enchante, lui mande-t-il. Je voudrais seulement que vous n’eussiez point rangé Machiavel, qui était un malhonnête homme, au rang des autres grands hommes de son temps. Quiconque enseigne à manquer de parole, à opprimer, à commettre des injustices, fût-il d’ailleurs l’homme le plus distingué par ses talens, ne doit jamais occuper une place due uniquement aux vertus et aux talens louables. Cartouche ne mérite point de tenir un rang parmi les Boileau, les Colbert et les Luxembourg. Je suis sûr que vous êtes de mon sentiment. Vous êtes trop honnête homme pour vouloir mettre en honneur la réputation flétrie d’un coquin méprisable : aussi suis-je sûr que vous n’avez envisagé Machiavel que du côté du génie. Pardonnez-moi ma sincérité ; je ne la prodiguerais pas, si je ne vous en croyais très digne. »

Voilà un prince bien scrupuleux, car, à moins que le passage censuré n’ait été supprimé à l’impression, ou que j’aie mal cherché, le seul endroit du Siècle de Louis XIV où il soit fait mention de Machiavel est la brève et insignifiante notice