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V. A. R. du bel ouvrage qu’elle a entrepris d’en réfuter le corrupteur, pour lui faire apprendre quelques vérités de physique. »

Et, tout de suite après, c’est Voltaire (18 octobre) :

« Je relis Machiavel dans le peu de temps que mes maux et mes études me laissent. J’ai la vanité de penser que ce qui aura le plus révolté dans cet auteur, c’est le chapitre de la Crudeltà (ch. XVII) où ce monstre ingénieux et politique ose dire : Deve per tanto un principe non si curare dell’ infamia di crudele ; mais surtout le chapitre XVIII : In che modo i principi debbiano osservare la fede. Si j’osais dire mon sentiment devant V. A. R., qui est assurément le juge-né de ces matières par son cœur, par son esprit et par son rang, je dirais que je ne trouve ni raison ni esprit dans ce chapitre. Ne voilà-t-il pas une belle preuve qu’un prince doit être un fripon, parce qu’Achille a été nourri, selon la Fable, par un animal moitié bête et moitié homme ! Encore si Ulysse avoit eu un renard pour précepteur, l’allégorie auroit quelque justesse ; mais qu’en conclure pour Achille, qui n’est représenté que comme le plus impétueux et le moins politique des hommes ?

« Dans le même chapitre, il faut être un perfide, perchè gli uomini sono tristi ; et, le moment d’après, il dit : Sono tanto semplici gli nomini… che colui chc inganna troverà sempre chi si lascerà ingannare

« Il me semble que le docteur du crime méritoit de tomber ainsi en contradiction.

« Je n’ai point encore eu les Notes d’Amelot de la Houssaye, mais quel commentaire faut-il à mon prince pour démêler le faux et pour confondre l’injuste ? Béni soit le jour où ses aimables mains auront achevé un ouvrage dont dépendra le bonheur des hommes, et qui devra être le catéchisme des rois ! »

Que de catéchisme ! Frédéric s’acharne à la besogne. Il pense en voir bientôt la fin et, le 27 octobre, il prévient la marquise du Châtelet :

« Vous me demandez des nouvelles de Machiavel. Je compte de l’achever dans quinze jours. Je ne voudrais point présenter un ouvrage informe et mal digéré aux yeux du public. J’écris beaucoup et j’efface davantage. Ce n’est encore qu’une masse d’argile grossière à laquelle il faut donner la façon et le tour convenable : cependant je vous envoie l’Avant-Propos, pour vous faire juger dans quel esprit cet ouvrage est composé. Il y a des