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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/359

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et je ne puis trop rendre de grâces à V. M. de la bonté qu’elle a de m’excepter de la loi générale et de m’en promettre un exemplaire ; c’est le don le plus précieux que V. M. puisse me faire. Je ne crois pas que l’édition s’en achève en Hollande ; mais j’imagine que V. M. en fera tirer quelques exemplaires à Berlin, et qu’elle n’oubliera pas alors la personne du monde qui fait le plus de cas de cet incomparable ouvrage. Je ne connais rien de mieux écrit, et les pensées en sont si belles et si justes qu’elles pourraient même se passer des charmes de l’éloquence. J’espère que V. M. sera servie comme elle le désire, et que ce livre ne paraîtra point. M. de Voltaire ira même en Hollande, si sa présence y est nécessaire, comme je le crains infiniment, car les libraires de ce pays-là sont sujets à caution, et je puis assurer V. M. qu’il ne lui fera jamais de sacrifice plus sensible que celui de ce voyage. J’espère cependant encore qu’il pourra s’en dispenser. »

Il s’agit donc de « rattraper » le manuscrit. Voltaire part, bon gré, mal gré. Le 20 juillet, il est à La Haye.

« Vos ordres me semblaient positifs ; la bonté tendre et touchante avec laquelle Votre Humanité me les a donnés me les rendait encore plus sacrés… »

Et on peut le croire, que ces ordres étaient positifs. Post-scriptum de la lettre de Frédéric, » du 27 juin : « Pour Dieu, achetez toute l’édition de l’Antimachiavel. »

« La première chose que je fis hier, en arrivant, continue Voltaire, fut d’aller chez le plus retors et le plus hardi libraire du pays, qui s’était chargé de la chose en question. Je répète encore à V. M. que je n’avais pas laissé dans le manuscrit un mot dont personne en Europe pût se plaindre. Mais, malgré cela, puisque V. M. avait à cœur de retirer l’édition, je n’avais plus ni d’autre volonté ni d’autre désir. J’avais déjà fait sonder ce hardi fourbe, nommé Jean van Duren, et j’avais envoyé en poste un homme qui, par provision, devait au moins retirer, sous des prétextes plausibles, quelques feuilles du manuscrit, lequel n’était pas à moitié imprimé ; car je savais bien que mon Hollandais n’entendrait à aucune proposition. En effet, je suis venu à temps ; le scélérat avait déjà refusé de rendre une page du manuscrit. Je l’envoyai chercher, je le sondai, je le tournai de tous les sens ; il me fit entendre que, maître du manuscrit, il ne s’en dessaisirait jamais pour quelque avantage que ce