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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/365

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fait, sinon que je regrette le temps que vous emportent ces bagatelles. »

Et, le 20 :

« Je vous suis mille fois obligé de l’impression de Machiavel achevée ; je ne saurais y travailler à présent, je suis surchargé d’affaires. »

Vers le 20 novembre, surprise. Voltaire arrive subitement à Berlin. Deux mois avant, en septembre, il était allé voir le Roi au château de Moyland, si bien que Frédéric ne goûte pas, à cette seconde visite, un plaisir sans mélange. Il ne serait ni le fils de son père, ni Hohenzollern, s’il ne complait point : il regrette un peu ce que lui coûte cet hôte qui s’invite, et qui a l’habitude de réclamer ses frais de voyage : « Son apparition de six jours, confie-t-il à Jordan, me coûtera par journée cinq cent cinquante écus. » Voltaire s’aperçoit-il qu’on lui bat froid ? Ou bien est-ce la lettre de septembre, celle où on le grondait : « Je ne suis pas tout à fait content de cette édition, » est-ce cette lettre qui, courant après lui, l’a enfin rejoint ? Il traverse seulement la Prusse, ne s’arrête pour ainsi dire pas. En prenant congé, le 28 novembre, il dépose au palais ce billet dans lequel il met en œuvre tous ses moyens, séduction, drôlerie, et rire ; tout Voltaire y est, charmant et terrible :

« Je reçois, Sire, dans ce moment, une lettre de Votre Majesté que M. de Raesfeld me renvoie.

« Je suis bien fâché de ne l’avoir pas reçue plus tôt, j’aurais été consolé. Votre Majesté m’apprend qu’elle a pris le parti de désavouer l’une et l’autre édition, et d’en faire imprimer une nouvelle à Berlin, quand elle en aura le loisir. Cela seul suffit pour mettre sa gloire en sûreté, en cas qu’il y ait quelque chose dans ces éditions qui déplaise à Sa Majesté. L’ouvrage est déjà si généralement goûté, que Votre Majesté ne peut que se rendre encore plus respectable en corrigeant ce que j’ai gâté, et en fortifiant ce que j’ai affaibli. Puissé-je être aussi fripon qu’un jésuite, aussi gueux qu’un chimiste, aussi sot qu’un capucin, si j’ai rien en vue que votre gloire ! Sire, je vous ai érigé un autel dans mon cœur ; je suis sensible à votre réputation comme vous-même. Je me nourris de l’encens que les connaisseurs vous donnent ; je n’ai plus d’amour-propre que par rapport à vous.

« Lisez, Sire, cette lettre que je reçois de M. le cardinal de Fleury. Trente particuliers m’en écrivent de pareilles ; l’Europe