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retentit de vos louanges. Je peux jurer à Votre Majesté que, excepté le malheureux écrivain de petites nouvelles, il n’y a personne qui ne sache que je suis incapable d’avoir fait un tel ouvrage de politique, et qui ne connaisse ce que peut votre singulier génie.

« Mais, Sire, quelque grand génie qu’on puisse être, on ne peut écrire ni en vers, ni en prose, sans consulter quelqu’un qui nous aime.

« Au reste, que la lettre de M. le cardinal de Fleury ne vous étonne pas, Sire ; il m’a toujours écrit avec quelque amitié. Si j’étais mal avec lui, c’est que je croyais avoir sujet d’être mécontent de lui, et je n’avais pu plier mon caractère à lui faire ma cour. Il n’y a jamais que le cœur qui me conduise.

« Votre Majesté verra par sa lettre en original, que, quand j’ai fait tenir l’Antimachiavel à ce ministre comme à tant d’autres, je me suis bien donné de garde de désigner Votre Majesté comme l’auteur de cet admirable livre.

« Je vous supplie, Sire, de juger de ma conduite dans cette affaire par la scrupuleuse attention que j’ai eue à ne jamais donner à personne copie des vers dont Votre Majesté m’a honoré ; j’ose dire que je suis le seul dans ce cas.

« Je vais partir demain. Madame du Châtelet est fort mal. Je me flatte encore d’être assez heureux pour assurer Votre Majesté, à Potsdam, du tendre attachement, de l’admiration et du respect avec lesquels je serai toute ma vie, Sire, etc. »

Voltaire resta à Berlin non point seulement jusqu’au lendemain, mais jusqu’au 2 ou au 3 décembre. Rien n’indique si, selon son espérance, il fut encore reçu à Potsdam, ou ne fut pas reçu. On a trois autres lettres de lui, pendant le retour, datées, l’une : « A quatre lieues par-delà Wesel, je ne sais où, ce 6 décembre ; » l’autre : « Clèves, 15 décembre ; » la troisième : « Dans un vaisseau, sur les côtes de Zélande, où j’enrage, ce dernier décembre 1740. » Il n’y est plus question de l’Antimachiavel.

Lorsque, beaucoup plus tard, après les brouilles, dans ses Mémoires, Voltaire eut à parler de cet incident, voici comment il l’arrangea. Comme « il n’y a jamais que le cœur qui le, conduise, » Frédéric y est bien drapé :

« Le roi de Prusse, quelque temps avant la mort de son père, s’était avisé d’écrire contre les principes de Machiavel. Si Machiavel avait eu un prince pour disciple, la première chose