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va t’en moudre ! » hurlaient les pointeurs, gagnés à leur tour par l’ivresse contagieuse de la bataille. Les Allemands avançaient toujours, mais leurs masses n’étaient plus aussi profondes ; la machine disloquée ne jouait plus que faiblement. Elle vint râler son dernier effort au pied des tranchées, dans les réseaux de fil de fer barbelé où chaviraient les survivans. À huit heures du soir, trois coups de sifflet, stridens comme une sirène d’usine, mettaient fin au travail de ce monstrueux organisme.

Depuis six heures on se battait dans la nuit. Une fois de plus, nous étions vainqueurs, mais à quel prix ! Dixmude, que l’artillerie lourde de l’ennemi n’avait cessé de bombarder durant l’attaque, n’est pas encore « le tas de cailloux et de cendre, » l’alignement de pierres noircies qu’elle sera plus tard ; mais déjà son agonie a commencé. On ne compte pas les maisons éventrées. Tout un quartier brûle autour de l’église. Si forte qu’elle soit, la pluie n’éteindra pas ces incendies attisés par la déflagration des obus à pétrole. Un projectile, à l’heure de l’Angelus, est venu frapper le clocher de Saint-Nicolas : le bourdon, atteint en plein corps, a poussé une sorte de râle dont les vibrations se sont longuement propagées dans l’espace. « Pauvre Dixmude ! écrit un marin, c’est ton glas qui sonne. » Heureusement, la population n’est plus là. Le bourgmestre a donné le signal de l’exode, et tous lui ont obéi, la mort dans l’âme, à l’exception des Carmélites et d’une douzaine de traînards ou d’entêtés comme ce vieux bedeau dont nous par le M. T’Sertevens, qui habitait sur la Grand’Place une vieille petite maison à ogives et à fenêtres grillées et qui, la pipe à la bouche, vous apportait les clefs de l’église : il jargonnait le flamand rude de la côte, il était tanné par le vent marin. « L’église, la maison, la place, le bonhomme, s’accordaient, traduisaient l’âme unique de la mère Flandre, » et tout cela devait s’abîmer en même temps, le bonhomme n’ayant pu se désencastrer de son logis « dont il semblait une pierre plus vivante. »

Par précaution, malgré la retraite de l’ennemi, les quatre compagnies de fusiliers avaient été laissées à leur poste de combat. Dans la nuit en effet, des fusillades intermittentes, au Nord de l’Yser, purent faire croire à une reprise d’offensive. La seule attaque un peu sérieuse se produisit à trois heures du matin, mais « nous n’eûmes pas de peine à la repousser, note