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marcher comme ça. On était si habitué d’entendre les balles passer à côté de l’oreille qu’on n’avait pas peur et qu’on marchait toujours… »

Ce jour-là pourtant, notre brave mathurin n’alla pas plus avant : au fort de la rafale, une balle lui cassa la jambe et l’envoya rouler dans une mare. Mais, comme il était Breton et qu’il avait en grand respect Madame sainte Anne du Porzic, il fit vœu, s’il s’en tirait sans autre méchef, de lui offrir, pour le jour de son pardon, un bel ex-voto de marbre blanc, « et gravé dessus : « Merci, sainte Anne, de m’avoir préservé. »

Tous n’avaient point cette chance autour de lui et, à la fin de la journée, la plupart des officiers des élémens engagés, notamment des 2e et 3e bataillons du 1er régiment, étaient hors de combat. Mais Oud-Stuyvekenskerke nous appartenait : le commandant Jeanniot avait réussi, avec le commandant Rabot, à « constituer, comme le portaient les instructions de l’amiral, un front de défense face au Nord » qui défiait les attaques de l’ennemi. Si fortes qu’eussent été nos pertes, elles n’étaient rien, d’ailleurs, à côté des pertes allemandes. Sur le carnet d’un officier du 202e d’infanterie, tué le lendemain à Oud-Stuyvekenskerke, on pouvait lire ces lignes désenchantées :

« Partout nous perdons du monde, et nos pertes sont hors de proportion avec les résultats obtenus… Nos canons n’arrivent pas à réduire les batteries ennemies au silence ; les attaques de notre infanterie sont sans effet ; elles ne mènent qu’à des boucheries inutiles… Nos pertes doivent être énormes. Mon colonel, mon major et beaucoup d’autres officiers sont morts ou blessés. Tous nos régimens sont enchevêtrés les uns dans les autres : le feu impitoyable de l’ennemi nous prend en enfilade. Il a beaucoup de francs-tireurs avec lui… »

Des francs-tireurs ! On sait ce que les Allemands entendent par ce mot, qui désigne tout simplement des tireurs exercés. Le lendemain, dès la brume levée, la bataille reprenait sur toute la ligne ; bombardement de la ville, des tranchées extérieures, des tranchées de l’Yser, de la gare de Caeskerke surtout, où se tenait l’amiral, qui dut se résigner à porter ailleurs son poste de commandement, sans y trouver plus de sécurité. L’ennemi avait des intelligences dans Dixmude même : « Les maisons des états-majors étaient exactement repérées au fur et à mesure