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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/406

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de ces masses d’hommes qui sortent du pavé à mesure qu’on les écrase ? « C’est des punaises ! » dit un quartier-maître dont les bras n’en peuvent plus d’avoir frappé. Et la nuit tombe. Dixmude a cessé de panteler. Il y a six heures qu’on se bat sur ce cadavre en miettes. Plus un pignon, plus un mur n’est debout, à l’exception de la minoterie. Un banc de galets, voilà, Dixmude. La conservation de ce « tas de cailloux, » qui se complique d’un foyer de pestilence, ne vaut pas le petit doigt d’un de nos hommes. À cinq heures du soir, après avoir fait sauter les ponts et la minoterie, l’amiral se replie de l’autre côté de l’Yser.

« Chère mère, écrira quelques jours plus tard le fusilier E. J…, d’Audierne, je vous dirai que, le 10 de ce mois, je ne chantais pas la gloire à Dixmude, car, sur ma compagnie, on est retourné une trentaine. Ce jour-là, je croyais y rester : mais, comme le courage m’a emporté, j’ai pu me retirer avec beaucoup de misère. Et il y en a beaucoup qui étaient forcés de se f… à la nage pour se sauver. »

Sans doute les prisonniers qui, avec l’héroïque Sérieyx, s’étaient jetés dans l’Yser. On ignorait encore que le lieutenant de vaisseau Cantener, qui avait pris le commandement après la mort de son chef, s’était maintenu jusqu’à la nuit dans les tranchées de la route de Beerst avec trois compagnies de fusiliers. Dans l’ombre, par les fossés pleins d’eau, il aura la joie, — et la gloire, — de ramener une partie de ses hommes dans nos lignes ; ils sont 450, épuisés, sans armes, sans équipement, vrais blocs de boue, qui, en rampant dans la vase avec laquelle ils se confondent, ont pu échapper à l’ennemi.

Trop des nôtres encore demeuraient entre ses mains ou sous les ruines de Dixmude[1]. Leur sacrifice n’avait pas été inutile cependant, puisque, Dixmude tombée, l’ennemi nous

  1. D’après M. Pierre Loti, les fusiliers marins auraient perdu devant Dixmude « la moitié de leur effectif et quatre-vingts pour cent de leurs officiers. » L’estimation n’est pas trop forte, si l’on y fait entrer les blessés et les disparus. Furent tués au cours de la journée du 10 novembre ou moururent des suites de leurs blessures le capitaine de frégate Rabot, les lieutenans de vaisseau Baudry, Kirsch, d’Albia, les enseignes de Montgolfier, de Lorgeril, de Nanteuil, le médecin principal Lecœur ; blessés, le capitaine de vaisseau Varney, le lieutenant de vaisseau Sérieyx, les enseignes Melchior, Kez-Lombardie, de Saizieu, Thépot, les officiers des équipages Paul et Charrier ; portés comme disparus, les lieutenans de vaisseau Lucas, Gouin, Modet, l’enseigne Aldebert, le médecin de 1re classe Guillet, le médecin auxiliaire Chastang, l’élève de l’École navale Verdat.