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gouvernement et à la nation qui s’armaient jusqu’aux dents pour la soutenir et pour triompher.


VI

Lorsqu’on rencontrait à Berlin le grand amiral de Tirpitz dans quelque salon officiel et qu’on causait avec lui, on avait le sentiment d’être en présence d’une personnalité intéressante : un strong mari, dirait-on en Angleterre. Aucun des autres conseillers de Guillaume II ne produisait une pareille impression de force et d’autorité. Avec sa barbe en éventail, son large front dénudé, ses yeux durs et perçans et l’embonpoint qui alourdissait sa taille imposante, il avait l’air d’un chef de grande industrie, d’un des rois de la finance, plutôt que d’un marin, n’étaient l’uniforme qui le sanglait et les nombreuses décorations étalées sur sa poitrine. C’est en effet un homme de bureau, un organisateur qui n’avait exercé aucun grand commandement à la mer, lorsque le discernement de l’Empereur l’appela à diriger l’office impérial de la Marine. Il commandait alors la station navale de Kiel, le premier port militaire de l’Empire, qu’il avait complètement transformé, bravant les critiques et le favoritisme, imposant sa volonté de fer, balayant le désordre et la routine. La flotte allemande lui devait l’organisation de sa division de torpilleurs dont la puissance combative ne s’est pas révélée pendant la guerre, sans qu’on puisse en faire un reproche à son créateur, autant que celle des sous-marins de formation toute récente.

Pour conserver la faveur impériale depuis dix-sept ans, — une longévité ministérielle qu’aucun chancelier, aucun secrétaire d’État, n’a encore atteinte sous Guillaume II, il a fallu à l’amiral de Tirpitz des qualités particulières d’intelligence et de souplesse. L’Empereur voulait passionnément posséder une flotte des plus puissantes ; il avait embouché lui-même la trompette marine ; par ses discours et une propagande personnelle incessante, il avait orienté l’attention du public vers le développement des forces navales, vers la possession de l’empire de la mer. (Unsere Zukunft liegt auf der See.) Mais l’exécution de la volonté du maître devait rencontrer de nombreux obstacles. La première difficulté pour un secrétaire d’État de la Marine