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c’est une majorité écrasante qui eût renvoyé au Palais-Bourbon des hommes comme Pierre Leroy-Beaulieu.


V

Telle fut la vie de celui qui, à l’âge où beaucoup d’hommes commencent seulement à dessiner leur carrière, avait marqué sa place dans les lettres, dans la science économique, dans la vie politique. Il ne faut pas qu’un tel exemple soit perdu. C’est autant pour donner un modèle aux générations à venir que pour rendre un dernier hommage à celui qui n’est plus, que la Revue des Deux Mondes a tenu à honorer la mémoire de Pierre Leroy-Beaulieu, et à léguer à sa fille et à ses cinq fils le témoignage durable de nos sentimens. Sans aucune exagération, il nous est permis de dire qu’il fut un homme complet. Dans toutes les directions où il la porta, son activité fut féconde ; partout, il accomplit sa tâche pleinement et brillamment.

En jetant un dernier regard sur cette existence de quarante-trois ans, nous ne pouvons nous empêcher d’admirer la façon dont elle fut remplie. A peine a-t-il atteint l’âge de raison qu’il comprend tout son devoir : lui aussi, comme son père, comme son grand-père, sera un homme utile à son pays. Cultiver son esprit, l’enrichir de la plupart des connaissances que la science moderne a multipliées, tremper son caractère dans une forte discipline de travail et de moralité, dont l’exemple était devant ses yeux au foyer familial, fut la devise de l’adolescent, on pourrait presque dire de l’enfant, à laquelle l’homme est toujours resté fidèle. Il avait un goût prononcé pour la carrière des armes, pour ce corps d’élite de l’artillerie qui contribue si efficacement à nos succès. Après avoir achevé son éducation militaire, il céda cependant aux avis de son père, qui avait reconnu en lui les qualités et le talent qui devaient en faire le digne continuateur de son œuvre. Mais à peine la mobilisation avait-elle été décrétée, le 2 août 1914, qu’il courut rejoindre son poste de capitaine dans la territoriale. Désigné pour commander le dépôt de Castres, il réclama son envoi sur le front. Là, il commanda d’abord une section de munitions, puis ne tarda pas, sur ses instances répétées, à être mis à la tête d’une batterie de 90, heureux d’être en première ligne. Le jour de la bataille de Soissons, le 13 janvier 1915, il prit part à l’action