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sanglante qui se déroula sur la rive droite de l’Aisne. Quand la crue de la rivière eut rendu impossible le passage des renforts qui nous eussent assuré le succès, l’ordre fut donné de se replier. Le capitaine obéit et donna les instructions nécessaires ; mais, après que toute sa troupe eut été mise en sûreté, il se porta, seul, vers d’autres canons qui tiraient encore. Les servans tués, il chargea lui-même les pièces et les pointa contre les Allemands. Ceux-ci, avançant en nombre, sommèrent de se rendre l’héroïque officier, qui répondit en faisant feu de son revolver. Une salve de mousqueterie fut la riposte : une balle atteignit au front Pierre Leroy-Beaulieu, qui tomba face à l’ennemi. Telle fut sa mort, si belle que les Prussiens eux-mêmes n’ont pu s’empêcher de lui décerner un dernier hommage. Les honneurs militaires lui furent rendus et les prières dites par le prêtre catholique de la division, qui, avant de bénir sa tombe, prononça une allocution en allemand et en français.

Le catholique convaincu qu’il était a vu venir en souriant la fin de sa vie terrestre, dont il offrit avec joie le sacrifice à son Dieu, à sa patrie. Il avait une foi simple, qui lui donnait la parfaite sérénité dont jouissent les vrais croyans. Jamais un doute, en matière religieuse, n’avait effleuré ce puissant esprit. Il répondait à ceux qui s’étonnaient de cette soumission touchante aux dogmes de l’Eglise : « Plus d’un parmi mes compatriotes ne saurait comprendre les mobiles de tous mes actes. Entre les plus humbles d’entre eux et moi, il y a cependant infiniment moins de distance qu’entre Dieu et son serviteur. Pourquoi dès lors chercherais-je à pénétrer tous les mystères de la théologie ? »

A notre tour, nous nous inclinons devant cette tombe prématurément ouverte et nous saluons, en celui qu’elle enferme, tous les vaillans qui ont donné leur vie à la patrie. Naguère la Revue célébrait la mémoire du colonel Patrice Mahon, l’un de ses plus brillans collaborateurs militaires, qui fut aussi l’ami enthousiaste de Pierre Leroy-Beaulieu. Aujourd’hui, nous rendons le même hommage à celui qui, sans être resté officier de carrière, a rempli les mêmes devoirs, couru les mêmes périls, rendu les mêmes services et prodigué le même dévouement que ses camarades de l’armée active. Ce n’est pas un des moins beaux côtés de l’admirable effort dont la France donne en ce moment le spectacle au monde, que cette union