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« 10 octobre. Nous avons trouvé un plat de harengs ; j’en ai mangé quatre.

« 14 octobre. Nous logeons chez un marchand d’œufs ; j’en ai gobé trois, mangé huit ou neuf en omelette, et trois durs. Bon repas.

« 15 octobre. J’ai mangé pour un franc vingt-cinq de jambon, bu deux verres de bière, et un cognac. »

Ils boivent plus encore qu’ils ne mangent. Le vin, c’est la boisson exquise, auprès de laquelle la bière parait fade au goût. C’est la boisson délicate, qui n’est pas accessible d’ordinaire aux gens de peu. On voit, quand on passe devant les restaurans des riches, les bourgeois qui s’en font servir ; les bouteilles sont sur la table avec une nappe et des cristaux. Le vin confère une sorte de privilège aristocratique ; les femmes en rêvent au fond de leur village : « Rapporte-moi donc des pantalons rouges, et un peu de vin… » Heureux pays, que celui où le vin se trouve à la disposition de celui qui veut le voler ! — « Pris cent bouteilles de vin pour la compagnie. » — « Vidé la cave. » — « Villa ; beaucoup de vin. » — « Dormi dans le salon du curé ; beaucoup de vin. » — « Il y a ici énormément de vin ; presque chaque maison a sa cave. » — « Pour faire une surprise à mon capitaine, j’ai été lui chercher une bouteille de vin rouge. » L’ivresse est un péché mignon, que l’on se rappelle avec une certaine tendresse de cœur. « Nous sommes pleins jusqu’en haut. » — Il arrive que les officiers eux-mêmes cèdent à un penchant qui parait si doux :

« Pendant la nuit, événemens forcenés. Vers minuit, arriva une chose qu’aucun homme au monde ne voudrait croire. Plusieurs officiers étaient venus dans les tranchées complètement ivres. Ils prirent des fusils, et tirèrent sur des sentinelles allemandes. Mais, grâce au ciel, personne d’entre nous ne fut blessé. Les détonations durèrent jusqu’au matin. »

Et voici sous quelle forme ignoble on voit enfin cet instinct se traduire : « Nous passons à H…, ville belge, qui est entièrement dévastée. Je vois les premiers cadavres brûlés. Odeur infecte. Beaucoup de vin. Je lave mes pieds dans du vin rouge. »

Comme ils aiment la rapine, ils aiment la destruction. On sait de reste qu’ils ne laissent après eux que des ruines ; qu’ils n’épargnent ni les vieillards, ni les femmes ; qu’ils appellent ruses de guerre des crimes de lèse-humanité. Mais, au moins,