Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/603

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voudrait-on trouver, dans les impressions des soldats, quelque honte de ces forfaits, quelque remords. Ou, si c’est trop leur demander encore, on voudrait leur entendre dire qu’ils ont agi par ordre, et qu’ils ont dû obéir. La faute retomberait sur l’état-major, qui a voulu faire de la terreur un moyen d’action, et qu’on redoutât l’approche de ses troupes comme jadis celle des hordes barbares ; au moins, la responsabilité des humbles s’en trouverait-elle atténuée. On le voudrait pour l’honneur de l’espèce.

Or, ils passent sans frémir devant les décombres, et regardent les cadavres des innocens sans rougir. Je multiplierai les citations, afin qu’on n’aille point croire qu’il s’agit d’un cas isolé, choisi à dessein parmi des témoignages contradictoires. En fait, il n’est pas de carnet de route qui ne relate des exécutions sommaires d’habitans, et il n’est pas de soldat allemand qui ne les considère comme chose légitime, naturelle, ordinaire. Dans les formidables agglomérations d’hommes qui constituent les armées modernes, il se rencontre parfois des criminels, et on ne saurait rejeter sur tout un peuple les forfaits isolés que la discipline punit. Ces forfaits, les Allemands les ont commis en grand nombre ; les enfans mutilés et les femmes outragées crient vengeance au ciel. Mais il ne s’agit pas de ceux qu’eux-mêmes traiteraient peut-être en coupables. Il s’agit de la moyenne, de la foule des « bons soldats, » des événemens qu’ils notent avec tranquillité, parce qu’ils les considèrent comme normaux. Voici la remarque brève, jetée en passant :

« 18 août. Brûlé tout un village, fusillé huit habitans. »

Dans un autre carnet :

« 25 août. Nous avons fusillé des habitans du village ; cinquante environ. »

Dans un autre encore :

« 19 octobre. Le soir, cantonnement à M… nous fusillons quelques civils. »

Voici la description qui s’étend avec complaisance. A Louvain :

« Le 30 août, nous allâmes à Lœwen. L’aspect était effrayant. La ville entière était en flammes. Plus une maison debout. Les étudians se sont démenés : mais nos troupes n’ont pas eu de pitié. Elles ont tout bombardé. Nous sommes restés là trois jours. Il y avait beaucoup de vin, et nous avons bu tout le jour, depuis le matin jusque tard dans la soirée. Nous étions couchés