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maison, près de la porte. Malheureusement, il fut écrasé ensuite lorsque la maison s’effondra. »

Ils prennent part aux cérémonies du culte comme à un exercice commandé. Ils chantent en chœur des cantiques. Ils portent, en guise d’amulette, une prière qu’on retrouve à un grand nombre d’exemplaires parmi leurs papiers : « Premièrement, tous les fusils visibles et invisibles se tairont pour ne pas t’atteindre, grâce au baptême du Christ, qui a été baptisé par saint Jean dans les eaux du Jourdain. Deuxièmement, tous les fusils, visibles et invisibles, se tairont pour ne pas t’atteindre par ordre du Saint-Esprit. Troisièmement, tous les fusils visibles et invisibles se tairont pour ne pas t’atteindre, grâce à l’angoisse de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a créés, toi et moi… Que celui qui ne veut pas croire à ces signes et à ces lettres les écrive sur une feuille de papier, qu’il suspendra autour du cou de son chien ; qu’il tire ensuite sur son chien, il verra bien alors qu’ils sont efficaces… » Mais ce n’est pas seulement la superstition qui fausse la piété, chez les faibles d’esprit ; chez tous, c’est encore l’orgueil allemand. Ils ont confisqué à leur profit Dieu lui-même ; ils ont fait de l’Eternel leur propriété. Le Christ n’est plus mort pour tous les hommes ; il protège le peuple élu, haïssant les autres, et assurant leur défaite. Les autres, tous les autres sont des pécheurs, qui ont hâté par leur crime leur châtiment. On ne saurait concevoir aberration religieuse plus profonde, plus voisine de l’idolâtrie primitive, que celle qui consiste à faire de la divinité le fétiche d’une tribu. Ainsi, aux temps barbares, on détruisait avec joie, comme ils le font, les temples consacrés de l’ennemi, parce qu’ils abritaient un autre Dieu.

On comptait encore, parmi leurs vertus traditionnelles, la bonhomie : celle-là aussi est exploitée, au détriment du juste et du vrai, pour le plus grand profit de l’Allemagne. On abuse, en effet, de la crédulité des soldats à un point surprenant. Chaque fois que le moral de la troupe risque de baisser, on met en circulation une fausse nouvelle : que l’Italie a déclaré la guerre à la France ; que les forces russes sont complètement anéanties. « Notre capitaine nous réunit pour nous annoncer que Verdun est tombé ; 70 000 Français ont été faits prisonniers d’un seul coup ; on ne sait où les mettre, tant ils sont nombreux. » Sans doute, certains régimens allemands ont reculé,