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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/615

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leur pays ne s’est engagé dans le conflit que malgré lui ; ils racontent d’obscures histoires d’où il ressort que la responsabilité retombe sur tous les peuples d’Europe, excepté sur l’Allemagne et sur l’Autriche. Et ils répètent, inlassablement, qu’ils n’ont pas souhaité la guerre, que la guerre contre la France n’a jamais été populaire chez eux, que leur plus grand désir est de la voir finir. Ils nous font la grâce de nous assurer qu’ils veulent nous anéantir sans nous détester ; à les entendre, nous devrions envier aux Russes, et davantage encore aux Anglais, l’honneur d’être haïs par eux.

Disent-ils vrai ? Ils disent aussi qu’ils ont observé les lois de la guerre ; qu’ils ont respecté nos œuvres d’art : qu’ils n’ont bombardé nos cathédrales que poussés par la nécessité ; qu’ils ont respecté les femmes, et qu’ils n’ont jamais tué d’enfans. Même quand on trouve sur eux des objets de pillage, ils soutiennent qu’ils n’ont pas pillé, et rejettent la faute sur quelque camarade, dont ils les auraient reçus sans en connaître la provenance. Mais s’il était vrai qu’ils eussent fait cette guerre sans haine, combien leur âme serait plus basse encore, capable de tels forfaits sans passion !


J’ai dit ce que j’ai vu. Certes, cette guerre offre des spectacles sublimes, et qu’on voudrait être capable de décrire. D’autres diront l’aspect nouveau des champs de bataille, où les yeux inexercés cherchent en vain l’ennemi : des lignes de tranchées confusément aperçues ; quelques points mouvans, bientôt disparus, qui sont les compagnies ou les bataillons ; et, dans le ciel, les flocons blancs des obus poursuivant les aéroplanes. Ils diront la violence inouïe des canonnades, et les duels d’artillerie que la nuit même n’interrompt pas. Ils diront les villages ravagés, les villes devenues décombres, et les murs des églises éventrées debout parmi les ruines. Et d’autres diront encore, — suivant l’expression d’un écrivain au mâle génie, digne de traduire les sentimens de la nation, et capable de les exalter encore, — d’autres diront les saints de France : nos soldats dans les tranchées. Humbles saints, qui n’ont rien du romanesque mais qu’on leur prête, d’autant plus admirables qu’ils sont plus simples, et que leur vertu de patience est plus mêlée aux réalités communes…

Le spectacle des prisonniers de guerre n’a pas cette beauté.