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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/625

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dissimulateur, puisqu’il ne montre pas son jeu, et grand simulateur, puisqu’il se couvre de faux semblans. Le seul qu’il n’affecte pas, ou qu’il ne puisse porter longtemps, c’est le faux semblant de la piété. Il est franchement, brutalement irréligieux, sauf, à peine, quelques étincelles, aux minutes de désespoir. « M. de Bülow, ministre de Saxe, dit en badinant qu’on ne craint guère le bon Dieu à Berlin, mais les Russes beaucoup ; depuis qu’on a parlé de leur marche comme d’une chose certaine, on a remarqué que le Roi a eu de certaines inquiétudes et rêveries, telles qu’il a coutume d’avoir, quand il mitonne quelque grand projet. « Toutes les autres apparences, il se les donne et il prend toutes les autres attitudes machiavéliques : celle surtout de la générosité reconnaissante ; et ce ne sont, — là réside le machiavélisme, — que des attitudes, que des apparences.

« Les libéralités tout nouvellement faites aux veuves et orphelins des soldats tués à la guerre ont plutôt paru un moyen prodigue d’encourager les troupes que l’effet d’un bon cœur, et d’une âme généreuse. » On s’en aperçoit : ce n’est donc pas de l’ouvrage très bien fait ; c’est un peu gauche, cela manque un peu d’art.

Mais où Frédéric II pèche gravement contre le Manuel du Prince, c’est quand il tombe en ce travers, en cette faiblesse de méconnaitre, de mépriser ses adversaires, ceux de tous les hommes qui pour un prince sont le moins à ignorer ou à dédaigner. Ainsi le monarque prussien n’a jamais eu une idée juste de la France… Il a considéré ce royaume comme une bande de jeunes gens qui font une éternelle partie de plaisir et a cru bonnement que les finances, les lois, la guerre étaient abandonnées à un certain nombre d’hommes adroits et intrigans, qui les faisaient servir à l’amélioration de leur fortune. De même pour « les Bataves, les Anglais, les Américains. » Néanmoins, il n’a pas eu la même indifférence pour la Porte et plusieurs fois ses émissaires secrets ont été chargés d’aller à Constantinople épier les secrets du Divan. En 1759 il en envoya un qui fit la route par terre, mangea son argent avec des Circassiennes, revint raconter à Potsdam un tas de fictions assez peu vraisemblables et enleva la maîtresse d’un prince avec laquelle il se sauva. « Ce mépris des hommes le conduit à égarer sa confiance : Frédéric a trop souvent employé ses escrocs plénipotentiaires (sic). Ses mauvais choix avaient deux sources. La