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première était une économie mal placée, et la seconde la persuasion que tous les hommes sont égaux. »

Il est vrai qu’à en croire les médisans, les souverains à qui il avait affaire lui faisaient la partie belle en ne choisissant pas mieux que lui. « Ce qui fait le plus de sensation à Berlin, c’est le vénérable corps diplomatique qui ne sait pas un mot de ce qui se passe chacun dans leur Cour et qui, de peur qu’on ne devine qu’ils ne sont pas initiés dans les secrets du cabinet, ergotent toute la journée à tort et à travers sur l’intérêt des Puissances qu’ils n’entendent pas plus que moi. Il s’ensuit de là une confusion d’idées et un charivari politique qui rend les conversations fatigantes. Si je me hasarde à lancer ce brocard contre ce respectable groupe, je dois ajouter, pur égard pour la vérité, que lorsqu’ils ne font pas les ministres, plusieurs d’entre eux sont des hommes très aimables, et dont les maisons offrent de grandes ressources à la société. »

Ce n’est pas que ces diplomates manquent de moyens, loin de là ; mais, justement, le Roi ne les aime pas de cette sorte : devant eux, il faut qu’il se surveille : « La plupart des souverains ont imaginé d’envoyer pour ministres à S. M. des gens d’esprit ; et l’on a remarqué que c’est précisément ceux auxquels il n’a point parlé. La France entre autres choisit le duc de Guignes qui était séduisant et jouait bien de la flûte. Le Roi n’a pas voulu avoir cette double rivalité, et l’ambassadeur français ne fit autre chose à Berlin que l’amour aux belles Dames et des épigrammes sur de vilains messieurs. » L’Anglais « Milord Tirconel, l’un des plus aimables hommes de son siècle, et un très honnête homme, qui pis est, n’a jamais eu plus d’une minute d’audience. Le Roi disait de lui qu’il n’avait point d’esprit, mais que les replis de son cœur étoient assez bien développés pour dépayser longtemps ceux qui en avoient plus que lui. »

L’Anti-Machiavel rend encore hommage au machiavélisme quand il professe ou accorde, ou bien a l’air d’accorder, que ce qui fait la qualité d’un acte, en dehors de sa valeur morale, bien ou mal, c’est le bénéfice qu’on en relire. « Ce monarque a eu d’étranges idées sur l’avantage dont étoit la probité à un souverain. Ou lui disoit un jour d’un de ses ministres : L’intérêt est la base de son caractère, il n’est pas capable de prononcer une sentence contre les gens obscurs ; mais cent ducats, ou de riches bagatelles ne le trouvent guère inaccessible, pourvu qu’il ne voye