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voulait plaire. Jamais homme ne réussit plus parfaitement adonner à ceux qui l’approchaient le vague espoir de quelque grande marque de bonté. » Et cela est proprement machiavélique, ou plutôt, cela est d’une politique élémentaire, et Guichardin l’enseigne tout comme Machiavel. « Mais, sous ce bel extérieur, Frédéric était un tyran soupçonneux, dédaigneux et malveillant. Il avait un goût qu’on peut pardonner à un gamin,… le goût des méchantes plaisanteries en action. Un courtisan aimait-il la toilette ? On jetait de l’huile sur son plus riche vêtement. Aimait-il l’argent ? On inventait quelque folie pour lui faire débourser plus qu’il ne pouvait mettre de côté… Frédéric était habile à découvrir les faibles des autres, et il aimait à communiquer ses découvertes. Il savait lancer un sarcasme… Sa vanité, aussi bien que sa méchanceté, trouvait plaisir à contempler la confusion et le chagrin de ceux qui étaient victimes de ses plaisanteries mordantes… On ne savait comment agir avec lui ; c’était la plus embarrassante de toutes les questions. Si l’on se montrait gêné en sa présence, on désobéissait à ses ordres, et on gâtait son plaisir. Si cependant ses compagnons se laissaient aller à la familiarité d’une intimité cordiale, le Roi ne manquait pas de punir leur présomption par quelque cruelle humiliation… A ses yeux, ceux qui se révoltaient étaient des insolens et des ingrats ; ceux qui se soumettaient étaient des roquets faits pour recevoir avec une patience également servile des os et des coups de pied. Il est difficile d’imaginer aucune raison, à moins que ce ne fût la rage même de la faim, qui ait pu décider aucun homme à supporter cette misère d’être le compagnon du grand Roi. » Le poste n’était pas lucratif… « Je n’hésite pas à dire que le plus pauvre auteur de l’époque, vivant à Londres, couchant sur un grabat, dinant dans une cave… se faisant une cravate de papier et n’ayant qu’une grosse épingle pour tout bijou était plus heureux qu’aucun des hôtes littéraires de la cour de Frédéric. »

Là-dessus, les détracteurs du Roi et ses panégyristes sont d’accord ; chacun, à son tour, en a trop souffert ! Les souvenirs de Dieudonné Thiébault confirment, sur ce point, les assertions de Voltaire, que corroborent d’autre part les Mémoires de Henri de Catt. Ce M. de Catt était un Suisse, de Morges sur le lac de Genève, qui, pendant près d’un quart de siècle, fut à Frédéric II ce que Moritz Busch fut à Bismarck : c’est dire qu’il ne se coucha