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dix-sept mille hommes qui avaient occupé le camp de Pirna furent entraînés à s’enrôler sous les drapeaux du vainqueur. »

C’est « le plus vigilant, le plus soupçonneux, le plus sévère des politiques. » Il a du jugement, de la résolution, du bonheur, de la fermeté, de la fidélité envers lui-même. Ainsi qu’il sait vouloir, il sait attendre. De temps en temps, et de jour en jour davantage à mesure qu’il vieillit, il traversa bien des heures de découragement ; alors, on peut le dire, et Macaulay le dit énergiquement, il montre à l’adversité une face assez déplaisante.

Après Closter-Seven, « ses malheurs l’avaient atteint jusqu’au vif. Le railleur, le tyran, le plus rigoureux, le plus impérieux, le plus cynique des hommes était très malheureux. Son visage était si hagard et son corps si maigre que, lorsque, à son retour de Bohême, il traversa Leipsick, le peuple le reconnut à peine. » Il songe à s’empoisonner, mais il chante sa mort dans une épître. « Au milieu de toutes les calamités du grand roi, sa passion pour composer des vers médiocres ne faisait que se développer… Il n’est pas, à notre connaissance, d’exemple aussi frappant et aussi grotesque de la force et de la faiblesse de la nature humaine, que le caractère de ce bas bleu hautain, vigilant, résolu, sagace, moitié Mithridate, moitié Trissotin, qui résiste à tout un monde armé contre lui, avec une once de poison dans une poche et un cahier de mauvais vers dans l’autre. » Son cœur est tout ulcéré de haine… « Il est dur, dit-il dans une de ses lettres, d’avoir à souffrir ce que je souffre. Je commence à sentir que, comme le disent les Italiens, la vengeance est le plaisir des dieux. Ma philosophie est minée par la souffrance. Je ne suis pas un saint comme ceux dont nous lisons l’histoire dans les légendes, et j’avoue que je mourrais content, si je pouvais d’abord infliger à d’autres un peu de la misère que j’endure. »

Pour mourir content, — et vengé, — gagnons du temps, durons. « Les Russes, retenus par les neiges, ne bougeraient probablement que lorsque le printemps serait bien avancé. » — « Peut-être les Turcs se mettraient-ils en mouvement sur le Danube. » Dans ses épreuves, Frédéric II en appelle jusqu’au Sultan.

« J’ai médité un discours au Grand Seigneur pour l’engager à faire la guerre à mes ennemis. Réveillez-vous, sublime Hautesse, réveillez-vous : le grand Eugène, qui vous a porté des coups si désastreux, n’est plus… Vengez-vous des maux qu’il vous a