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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/664

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à subir chez lui, à Versailles, dans le palais de Louis XIV, la proclamation de l’Empire allemand. La moindre intervention diplomatique eût pu réduire les exigences de Bismarck. Il le redoutait franchement et il l’a dit plus d’une fois. Mais l’Europe, indifférente et imprévoyante, nous a laissé succomber, et l’on voit par la guerre actuelle à quel point son inaction d’alors a été déplorable et néfaste.


Après la victoire remportée sur la France, après le traité de Francfort, la situation du ministre, devenu le prince de Bismarck, paraissait immense. Il était chancelier de l’Empire, président de la Confédération, donataire de Friedrichsruhe et du Sachsenwald, comblé de dignités, de fortune et d’honneurs. L’Etat lui faisait une pension annuelle de 105 000 marks ; ses domaines lui en rapportaient 300 000 et la banque Bleichrœder reconnaissait avoir un dépôt de lui évalué à 1 000 000 de marks. Il semblait qu’il n’eût plus rien à désirer.

Certes, il ne songeait pas à acquérir de nouvelles dignités et à accroître encore sa fortune ; mais il voulait garder le pouvoir à tout prix et assurer sa domination, non seulement sur l’Allemagne, mais sur l’Europe entière. Il fallait que tout s’inclinât devant sa puissance personnelle. Serviteur très respectueux en apparence de l’empereur Guillaume Ier, il entendait cependant que son maître suivit tous ses conseils et ratifiât toutes ses volontés. Décidé à regermaniser les Alsaciens-Lorrains et à en faire de loyaux sujets allemands, il combattit la neutralisation possible des deux provinces et en fit un pays d’Empire. Il croyait que les Alsaciens s’assimileraient plus facilement le nom d’Allemands que le nom de Prussiens. Suivant lui, ils avaient gardé une forte dose de particularisme « à la bonne façon allemande, » et c’est sur ce terrain qu’il fallait commencer à élever de nouveaux fondemens. « Plus les habitans de l’Alsace, disait-il, se sentiront Alsaciens, plus ils se déferont de l’esprit français. Dès qu’ils se sentiront complètement Alsaciens, ils sont trop logiques pour ne pas se sentir aussi Allemands. » Ses prévisions ont été bien trompées. Il s’en aperçut un peu tard et s’en irrita. Il attribua la persistance du sentiment français à l’obstination des femmes d’Alsace. Mais ce qu’il craignait surtout, et les événemens ont prouvé qu’il avait vu clair, c’était l’influence courageuse des prêtres catholiques, qui devaient combattre à