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l’idéologie, mais encore tout près de vous. Et, comme ce vannier, vous n’y songez pas. C’est que, par un effet de l’habitude, les objets tout proches, vous ne les voyez plus. Qu’un hasard éveille votre attention, vous remarquez, avec beaucoup de surprise, vos entours et l’amitié que vous avez pour eux. Chantez-les donc ; le vannier, « comme il chantait selon son cœur, chacun le comprenait et l’aimait. » M. Glesener, sans plus quêter ailleurs une inspiration moins sage, écrit doucement la « chronique d’un petit pays, » le sien, le pays de Liège.

Nous possédons trois épisodes de cette chronique ; et, d’abord, l’Histoire de M. Aristide Truffant, artiste découpeur. Une histoire extrêmement simple et toute dépourvue d’incidens. M. Truffaut : un bonhomme pareil à d’autres, un modeste gratte-papier, sous-chef au bureau de bienfaisance. L’on est sous-chef au bureau de bienfaisance et l’on ne mérite que l’estime de ses collègues, la confiance de ses chefs : cela pourtant vous laisse du loisir. L’on va au café : l’on n’y demeure pas. Afin d’occuper les heures vides et afin d’occuper aussi les portions les plus chimériques d’une âme, fût-elle ordinaire entre toutes les âmes, il faut un rêve, honnête ou non. Truffant, longtemps, collectionna les pipes et, en les fumant, sut leur donner les colorations les plus belles : une tête de zouave en écume de mer, il l’a culottée de manière qu’on la dirait hâlée par le soleil d’Afrique. Un jour, il rencontre son ami Tranquilin Mazurel, comptable dans une messagerie. Certes, il l’invite à prendre un petit verre. Tranquilin n’ose pas refuser : tout de même, on sent qu’il rentrerait chez lui plus volontiers. Son petit verre, il l’avale trop vite ; il regarde l’heure et me dissimule pas toute son impatience ; il annonce bientôt le projet de s’en aller… Déjà ? Est-il donc si pressé ? Oui. Quelque besogne ? Un passe-temps, une manie, un vice ; une sorte de vice anodin : Tranquilin Mazurel découpe, avec une petite scie, des planchettes de bois et il en fait des objets d’art, un porte-montre pour le moment, « Et ça t’amuse ? — Pour cela, oui ! Tu n’imagines pas !… On est chez soi, bien tranquille, au coin du feu. Ma femme tricote ; moi, je fume ma pipe en travaillant ; et puis, ça ne coûte pas cher… » Voilà un homme heureux. Aristide Truffaut lui envie son bonheur. Mais Tranquilin ne demande pas mieux que d’enseigner à son ami son plaisir. Désormais, toute la pensée, toute la ferveur et tout l’entrain d’Aristide Truffaut seront dévoués au fin découpage du bois. Il ajoutera le découpage des métaux, et nommément du cuivre. Il en perdra le boire et le dormir. Il multipliera les exploits, achèvera l’on ne sait combien