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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/745

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resserrer les bornes de la plaine humide et de la refouler au loin sur elle-même, pas à pas j’en suis venu à calculer tout cela. » Et, se tournant vers son diabolique compagnon : « Voilà mon désir ! Ose le seconder ! »

Mais, au loin, des tambours battent, des clairons sonnent : la guerre est déclarée. — « Encore la guerre ! dit Faust, avec humeur : c’est un bruit que le sage n’entend pas volontiers. » Nous avons là le sentiment même de Goethe : il est certain, — toute sa conduite l’a prouvé, — qu’il n’aimait pas la guerre. Différence profonde avec Nietzsche. Mais la raison de Faust tient en échec ses répugnances. Le sage lui-même n’a pas le choix des moyens. Et, bien vite, Méphistophélès le munit d’argumens propres à tranquilliser sa conscience : « Bah ! lui dit-il, la guerre ou la paix, qu’importe ! Il est habile de travailler à tirer parti de chaque circonstance. On guette, on saisit des yeux l’instant propice. L’occasion est là, Faust ! sache la saisir. »

Et le docteur n’hésite pas à partir en guerre, bien résolu à gagner la bataille, à ne rien négliger pour s’assurer la victoire. Que faut-il pour cela ? Une armée solide, une marine audacieuse, prête à tous les coups de main, une artillerie invincible, des services techniques admirablement organisés, enfin, dans le peuple et dans l’armée, le moral qui convient pour une entreprise belliqueuse. Des personnages de condition inférieure sont chargés par le poète d’expliquer au public les nécessités et aussi la psychologie spéciale de la guerre. Leurs maximes se distinguent par une belle franchise. Voici trois soudards qui s’avancent : « Si quelqu’un, dit le premier, me regarde dans le blanc des yeux, je lui lance mon poing dans la gueule. Et le lâche qui veut fuir, je l’empoigne par ses cheveux de derrière. — Les vaines querelles ne sont que fariboles, dit le second : on y perd sa journée. A prendre seulement sois infatigable. Pour le reste, ne t’en informe qu’après ! — A la vérité, prendre est fort bien, dit le troisième, mais conserver est mieux encore. » Et le premier soudard conclut par cette déclaration explicite : « A la valeur des légions impériales doit s’allier la soif du butin. »

De tels propos mettent en joie les compagnes de ces valeureux guerriers. L’une d’elles, qui porte un nom significatif (Eilebeute, celle qui hâte le pillage), se jette au cou du soldat, le