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tête de ce frêle souverain catholique. Quand donc les hommes allemands auront-ils un Empereur digne de leur fidélité, de « leur volonté profonde et soutenue, » — un Empereur allemand, libre de tout pacte avilissant avec Rome ?… En attendant, ses regards se tournent avec complaisance et comme un obscur frisson d’espoir, vers l’ambassadeur du roi de Prusse, ce rude baron de Plotho, qui, par ses brutalités et ses goujateries, s’amusait à humilier, au nom de son maître déjà triomphant, le pauvre monarque autrichien. Mais la Prusse n’en est encore qu’à ses coups d’essai. Jusqu’à ce qu’elle puisse s’en emparer, le globe, le sceptre et la couronne ne sont, pour les yeux allemands, que des objets de curiosité, des pièces de musée étalées sur le velours d’une vitrine.

Faust, qui ne peut prévoir encore ce moment-là, a donc quelque raison de désespérer. D’ailleurs son désespoir est de courte durée. L’Empire est sans Empereur. Eh bien ! Faust, cet ancien professeur d’université, se proclamera Empereur lui-même. Il ne faut pas que l’interrègne se prolonge et que la volonté de la Race soit déçue. Seulement, lui, il sera un Empereur qui régnera pour régner et non pour jouir : « L’homme destiné à gouverner doit trouver le bonheur suprême dans le gouvernement. Sa poitrine est pleine d’une sublime volonté. Ce qu’il veut, il n’est donné à personne de l’approfondir. Ce qu’il souffle à l’oreille de ses confidens s’accomplit sur l’heure, et le monde est dans l’étonnement. Ainsi, il sera toujours le premier entre tous, le plus digne. » Hegel n’a rien écrit de plus fort pour la divinisation de l’Etat. Mais dans ce sursaut d’orgueil, comme s’il prévoyait que la tare de la Race sera la cause de sa perte, il conclut par ce dur apophtegme, asséné avec la roideur d’un coup de poing : « La jouissance abrutit. »


Voyons à l’œuvre le docteur couronné.

En échange de ses services, l’Empereur-fantôme lui a concédé une bande de rivage, un vaste territoire stérile, envahi par les sables et sans cesse menacé par le flot marin. A la vue de ce domaine désolé, il est repris par son vieux rêve : conquérir la mer, la refouler bien au-delà de ses limites naturelles et faire sortir des eaux un véritable royaume. Cette hantise de la mer, n’est-ce pas étrange chez un fonctionnaire du petit duché