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de lui un Anti-Empereur, pour affaiblir sa puissance. D’ailleurs, il est entre les mains des prêtres, à qui il finit par abandonner niaisement presque toute la richesse du pays. En vain Faust et Méphistophélès ont-ils rempli ses coffres, grâce à leur habile subterfuge financier : le plus clair de cet or diabolique s’est déversé dans la caisse de l’Eglise, où il se sanctifiera. Tout ce passage du poème est plein d’allusions à l’Allemagne contemporaine de Goethe : on y sent son mépris pour ce Saint Empire romain germanique, livré à l’influence de Rome et aux intrigues cléricales, ce faible gouvernement qui n’a su donner à l’Allemagne ni l’unité, ni l’hégémonie européenne. Qu’attendre d’ailleurs d’un souverain, qui, sur le trône, ne songe qu’à profiter agréablement du pouvoir ? Comme si l’on pouvait régner et jouir de la vie en même temps !

Mais si Goethe méprise l’Empereur, il a presque de l’adoration pour l’Empire. De quel ton exalté il en parle ! Quelles sonorités ce mot d’empire met sur ses lèvres ! Il suffit de lire dans ses Mémoires sa relation du couronnement de Joseph II à Francfort, au mois d’avril 1764, pour deviner l’impérialiste fervent qu’il cachait au fond de son cœur. Tout ce qui touche à l’Empire est, de sa part, l’objet d’une véritable dévotion. Il s’émerveille à décrire les cortèges d’électeurs et d’ambassadeurs qui, dans Francfort ébloui, se déroulèrent alors du matin au soir, qui tinrent la ville en effervescence continuelle pendant les semaines et les mois que durèrent les cérémonies compliquées des fêtes impériales ! Les insignes mêmes de l’Empire le jettent dans une sorte d’extase. C’est avec un battement de cœur qu’il contemple de loin le globe, le sceptre et la couronne, déposés sur un coussin de velours, dans un coin de la salle du banquet, à l’hôtel de ville. Quelques jours après, on les exhibe au populaire, et le père de Goethe n’imagine pas de plus belle consolation pour son fils, accablé par un chagrin d’amour, que de l’emmener voir cette exposition.

Quel dommage que ces insignes de la domination ne soient que des hochets dérisoires entre les mains débiles de l’actuel Empereur ! Gœthe ne manque pas de noter que le jour de son couronnement, Joseph II parut comme écrasé sous le poids de la dalmatique carlovingienne, toute raide de broderies et de pierres précieuses, et qu’on avait dû rembourrer la couronne de Charlemagne, « notre grand Charles, » trop large pour la