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beaucoup d’entre eux, d’une crainte inconsidérée du panslavisme. Combien cependant le panslavisme aujourd’hui est-il moins à redouter que le pangermanisme !

Nos confédérés de la Suisse centrale et orientale craignent également, si l’Allemagne est écrasée, de voir sombrer la culture germanique. Cette culture compte sans doute, mais elle n’a plus, et de beaucoup, la valeur universelle qu’elle possédait au commencement du XIXe siècle. Depuis 1870, elle a subi l’influence et l’hégémonie de la Prusse brutale et despotique. Devenue exclusivement, — ou presque, — scientifique et matérialiste, elle manque de noblesse et d’idéal. Plutôt qu’une culture, c’est une lourde et méticuleuse érudition. En ce qui concerne la valeur d’art, l’idéalisme, le sentiment des nuances, la balance, me semble-t-il, pencherait fortement en faveur de la culture slave.

Malgré les tendances générales de la Suisse allemande au début de la guerre, il est certain pourtant que si les Germains avaient essayé de violer le territoire suisse, ils auraient trouvé à qui parler. Les Suisses sont, tous, Suisses avant tout. Ils auraient défendu leur pays comme les héroïques Belges, c’est-à-dire comme des lions. L’Allemagne se serait mis à dos 350 à 400 000 combattans de plus, bien équipés, bien armés, bons soldats et excellens tireurs. Du reste l’Empereur le savait bien. Ce n’était certainement pas pour contempler les étoiles qu’il avait demandé, en 1912, d’assister en personne aux grandes manœuvres suisses.

Après les épouvantables cruautés commises en Belgique et en France, après le sac et la destruction de Malines et de Louvain, qui eurent comme digne couronnement l’abominable attentat contre la cathédrale de Reims, l’opinion publique et la presse se sont en grande partie retournées en Suisse allemande, et plusieurs éloquentes protestations s’y sont fait entendre. Le professeur Vetter lui-même, jusqu’alors le plus pangermaniste des Suisses, adressa, après les crimes sacrilèges de Louvain, une véhémente lettre ouverte aux « intellectuels » d’Allemagne. Et, en décembre dernier, à Zurich, le grand poète Cari Spitteler, dans un discours admirable et impartial, a dit sans ambages leurs vérités aux Allemands.

Cyniquement, les Germains reprochent aux Belges d’avoir violé les lois de la guerre, parce que des civils et des femmes