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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/830

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ventre, de sorte que, depuis une quinzaine, je ne peux plus marcher du tout, sic transit gloria mundi. Je vous prie, veillez bien à votre santé. Mes complimens à Mlle Marie[1], à qui, je ne sais pourquoi, j’ai pensé souvent dans ma solitude.

« Je suis, madame la princesse, votre très humble et très obéissant et très malade

« HENRI HEINE. »


Mais qu’était, au point de vue des sentimens, cette femme qui en inspirait de si fidèles et de si profonds ? Souvent les hommes de son temps l’ont traitée d’insensible. Cependant elle semble avoir passionnément aimé son mari au début et, après lui, Mignet. Cette réputation de froideur et de cruauté même serait donc l’œuvre de tous ceux qui l’auraient aimée en vain. Beaucoup l’ont aimée. La vie libre qu’elle adoptait, ses allures romanesques, et souvent mystérieuses, mais plus que toute chose sa radieuse beauté excitaient les convoitises. Il semble bien qu’elle-même, lorsqu’elle n’affectait pas ses airs d’impératrice, autorisait quelques espoirs. Qui donc a dit d’elle : « Elle se prêtait ? » C’est, je crois, Balzac, qui, d’ailleurs, parle d’elle cavalièrement.

« Trois hommes se disputaient ses faveurs : A. de Musset, H. Heine, et Mignet, « le beau Mignet. » Ce dernier l’emporta, et resta pendant de longues années « l’ami le plus tendre et le plus intime de la belle Italienne[2]. » Est-ce tout ? Ses biographes ont compté « le reste » pour des caprices… et ce « reste » me rappelle le si joli mot de cette petite comédienne, héroïne d’Anatole France, qui, interrogée sur son premier amour lorsqu’elle était au Conservatoire, répond : « Mon premier amant, c’est mes professeurs ! »

Non, notre princesse ne fut pas insensible, mais ne tombons pas dans l’excès du spia Pietro Svegliati, qui lui prête un nombre exagéré de « caprices. » En tout cas, elle n’était guère accessible ; nous savons que, comme Heine, Cousin l’aima sans espoir, et que Musset ne réussit pas davantage ; il s’en vengea en écrivant les Stances sur une morte. Balzac a dit : « Elle

  1. Marie était In fille de la princesse, née en 1838. Elle devint plus tard la marquise Trotti-Bentivoglio.
  2. J. Legras, H. Heine.