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dans son salon. Elle met sur pied même une fabrique de gants où elle rêve d’occuper cent femmes. Bref, elle s’ingénie, se dépense, s’agite et se dévoue, se fait aimer, et, finalement, tombe malade et rentre à Paris.

1846 est une année féconde pour l’avenir de l’Italie. Le prince Louis-Napoléon venait pour la troisième fois d’attirer sur lui les regards de l’Europe. Le 27 mars, il s’enfuyait du fort de Ham et se réfugiait à Londres où il attendit vainement le passeport que l’Autriche lui refusait pour embrasser une dernière fois le roi Louis, mourant à Livourne.

La princesse Belgiojoso l’avait connu naguère en Italie. Il était un ancien carbonaro, elle ne l’avait pas oublié. Comme elle désespérait de l’aide que Louis-Philippe pourrait lui donner jamais, elle se rapprocha de Louis-Napoléon. Il semble que déjà elle ait cru en son étoile, et que déjà elle ait sollicité son appui pour l’avenir. Cependant, rien ne semblait moins certain que cet avenir. « Jamais la cause de Bonaparte, dit E. Ollivier, ne parut plus perdue qu’à la veille du jour où elle allait triompher. » Impétueusement, mais intelligemment, la princesse alla voir Louis-Napoléon à Londres. Sa visite n’a point passé inaperçue. Voici une lettre que le prince lui écrivait, lorsqu’il l’attendait à l’hôtel de Jermyn Street. On verra que tous deux sont d’accord : sans doute le poussait-elle à agir, car il se défend de ses scrupules.


Brunswick Hôtel, Jermyn street, 20 juin 1846.

« Madame,

« Je vous remercie bien du petit mot que vous m’avez envoyé. Croyez que, libre ou captif, une marque de votre amitié me sera toujours chère. Je ne vous avais pas écrit parce que j’espérais apprendre d’un jour à l’autre votre arrivée à Londres et que j’aurais bien préféré vous voir que de vous écrire.

« Enfin, dès que vous arriverez ici, faites-le-moi savoir, car à Londres il est bien difficile de se trouver quand on ignore où l’on demeure.

« J’ai été obligé d’écrire au prince de Metternich pour avoir la permission d’aller en Italie ; j’espère l’obtenir, mais pas avant un mois. D’ici là, je vous verrai, j’espère, et ce sera un véritable bonheur que de causer avec vous.