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lui donnait une poignante actualité. Il ne s’agit plus, pour la France, d’arrêter plus ou moins vite une décadence lente et progressive ; il va falloir réparer immédiatement des pertes dont l’étendue dépassera celle qu’aucune guerre a jamais pu produire aussi brusquement. Qui de nous ne voit autour de lui un grand nombre de jeunes ménages brisés au lendemain de la naissance du premier enfant, parfois même avant ? Combien va être diminué le nombre des jeunes gens en situation de se marier d’ici dix ans ! Si les survivans ne sont pas convaincus que le célibat, la limitation trop étroite du nombre des enfans dans chaque famille conduisent à l’effacement progressif de la patrie, en attendant son écrasement dans le prochain conflit, la victoire elle-même n’aura fait qu’accélérer notre ruine, en réduisant encore le nombre des naissances dans les prochaines années, après avoir si cruellement grossi celui des décès.

C’est parce que nous sommes profondément convaincu de cette vérité, que nous voulons aujourd’hui rappeler et préciser quelques-unes des indications données à l’Académie des Sciences morales et politiques, dans la discussion provoquée par l’étude de M. Leroy-Beaulieu, sur cette partie essentielle de la tâche la plus urgente à entreprendre dès demain.

Heureusement, les circonstances qui imposent cette œuvre de propagande la facilitent aussi singulièrement. En effet, quiconque a étudié la question de la natalité en est convaincu : c’est une question exclusivement d’ordre moral. Si les Français ont peu d’enfans, c’est que peu d’entre eux désirent et que beaucoup redoutent une nombreuse famille. La secousse que nous traversons peut amener, à ce point de vue comme à beaucoup d’autres, une rénovation salutaire.

La diminution de la natalité est un phénomène qui se manifeste chez tous les peuples civilisés. En cette matière, comme en beaucoup d’autres, la France ne fait que devancer les autres nations dans les voies, bonnes ou mauvaises, où elles s’engagent plus ou moins rapidement. Et les dispositions d’où nait ce mouvement tiennent, il faut bien le reconnaître, aux vertus autant qu’aux vices que développent une aisance très répandue, une civilisation raffinée et une sensibilité de plus en plus délicate.

La limitation du nombre des enfans s’explique en partie par l’égoïsme des parens, par la crainte des efforts et des privations