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Mais l’équivalence entre les services rendus et la rémunération s’établit d’une manière très différente, selon qu’il s’agit d’engagemens à court terme ou à long terme. L’atelier, qui emploie des ouvriers entrant et sortant chaque jour, est obligé de payer, pour chaque journée, exactement ce qu’elle vaut, sans pouvoir établir aucune compensation entre les avantages faits à certaines situations et les réductions répondant à des situations moins intéressantes ; en effet, les allocations promises aux pères de famille n’exerceraient aucune attraction sur les jeunes gens, nullement assurés de travailler dans la même usine quand ils auront des enfans. Au contraire, dans les carrières où l’on entre avec l’intention d’y passer toute sa vie active, c’est l’ensemble des avantages attachés à la profession, avec toutes les chances d’augmentations futures, de gratifications, de retraite, etc., qui attire la jeunesse. C’est ainsi que l’Etat ou les grandes Compagnies ont, pour un même emploi, cinq ou six classes d’agens, dont les plus anciens reçoivent souvent un salaire double de celui des débutans, tout en donnant parfois un rendement moindre, comme travail, s’ils sont fatigués par l’âge.

Nous ne doutons pas qu’un droit reconnu à une majoration de traitement de 5 pour 100, 10 pour 100 et même davantage, suivant le nombre des enfans, soit tout aussi propre à attirer des candidats, dans les fonctions publiques, qu’un sacrifice équivalent fait par l’Etat sous toute autre forme. Les Compagnies de chemins de fer en font une expérience heureuse, quoique encore trop restreinte. Ce qui attire dans une carrière de ce genre, ce n’est pas le salaire de début, toujours faible ; c’est la constatation du fait que ceux qui la suivent se trouvent relativement heureux, n’ont pas trop de peine à lutter avec les difficultés de l’existence. Les fonctionnaires comptent parmi les Français ayant le moins d’enfans : d’après la statistique des familles, dressée à la suite du recensement de 1906, tandis que le nombre moyen d’enfans vivans ou morts qu’avait eus chaque ménage était en moyenne de 2,93 pour l’ensemble de la population[1], il descendait à 2,74 pour les ouvriers de l’État, à 2,03 pour ses employés. C’est qu’en effet, la situation de ceux-ci, donnant plutôt une grande sécurité qu’une forte rémunération, exigeant une certaine tenue, rend difficile pour eux d’élever

  1. Cette moyenne comprend les ménages anciens, dont les enfans sont nés ayant la période où la décroissance de la natalité s’est accélérée,