Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/887

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semaines. Rappelons-nous l’article décisif du Times : « Il y eut des jours où, durant la rapide marche en avant allemande, nous craignions que les armées françaises ne fussent par trop inférieures à leurs adversaires, où nous croyions que l’Allemagne ne serait battue que sur mer et sur sa frontière orientale, et qu’après la guerre la France ne subsisterait, en tant que Puissance, que grâce à l’aide de ses alliés. » Les craintes de nos amis auraient été plus vives peut-être encore s’ils avaient connu, comme nous commençons à les connaître aujourd’hui, tout le mystérieux détail de l’extraordinaire préparation allemande, toutes les infinies ressources de nos ennemis en hommes, en matériel de guerre, en espions, — en espions peut-être surtout, — leur prodigieux génie d’organisation, leur absence absolue de scrupules, leur foi exaltante dans leur supériorité universelle et dans l’infaillible succès de leurs armes. En vérité, on conçoit maintenant les raisons de leur maladif orgueil, leurs chants de triomphe avant la victoire, leurs cris de Barbares se ruant à la curée. Entre la France et eux, la partie ne semblait pas égale. Toutes les probabilités, toutes les chances étaient pour que la France fût écrasée sous le nombre des soldats, sous le feu des obus prodigalement dépensés, sous la supériorité d’un armement perfectionné suivant les dernières données de la science…

Cependant, sans s’émouvoir, sans s’énerver, la France achevait ses derniers préparatifs de guerre. Ce calme émouvant, cette dignité tranquille et grave, ont tout de suite donné confiance aux plus pessimistes. Ceux qui n’ont pas vu de leurs yeux le bon ordre, la précision, la rapidité avec laquelle s’est effectuée la mobilisation ne sauront jamais de quelle souple méthode est susceptible le tempérament français. J’imagine que les innombrables espions de l’empereur Guillaume ont dû être bien surpris ; s’ils ont fait parvenir des rapports véridiques à leur maître, ils ont dû reconnaître que les choses n’ont pas pu mieux se passer, même dans la méthodique Allemagne. Pour ma part, j’aurai toujours devant les yeux une double vision de ces premières journées de guerre. C’était le second jour de la mobilisation, dans un train de banlieue qui transportait à Paris nombre de mobilisés : leur décision, leur entrain, faisaient plaisir à voir. A l’une des stations monte un vieux général à la moustache toute blanche qui, visiblement, vient de reprendre