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général était visiblement conforme au nôtre. Mais l’Angleterre, pacifique d’instinct, en proie à de graves difficultés intérieures, très ouverte d’ailleurs a des influences allemandes, l’Angleterre était divisée contre elle-même. Le sort de la Serbie était pour elle un sujet d’émotion bien lointaine. L’odieuse violation de la neutralité belge vint mettre fin à ses hésitations. Le loyalisme anglais et l’intérêt anglais se trouvèrent d’accord pour infliger à l’Allemagne une surprise irritée dont elle n’est pas encore revenue. Sa duplicité, sa violence, son manque de perspicacité consommaient cet « encerclement » qu’elle avait toujours redouté comme la pire des éventualités. Et la France, par la loyauté, la prudence, la générosité de ses procédés, grâce aussi à l’habileté de ses diplomates, se trouvait placée dans une situation morale et matérielle peut-être unique dans tout le cours de son histoire. A un siècle de distance, c’était, retournée en sa faveur, la situation qui devait aboutir à la chute de Napoléon. Tandis que le vide se faisait autour de son implacable ennemie, les alliances venaient à elle. Et, par une coïncidence véritablement symbolique, en même temps qu’elle se trouvait défendre la liberté du monde, et, on peut bien le dire sans déclamation, la cause de la civilisation, elle luttait pour son existence même, pour l’avenir de son génie, et pour les espérances réparatrices que, pendant près d’un demi-siècle, elle avait jalousement conservées dans son cœur.

Pour soutenir un pareil rôle, pour remplir une pareille mission et n’en pas être écrasé, pour justifier aussi tant d’espoirs et mériter tant de confiance, il fallait une puissance matérielle et une force d’âme dont beaucoup, même parmi nos amis, ne croyaient pas la France entièrement capable. Ils la savaient insuffisamment préparée, courageuse, certes, mais nerveuse, prompte à la désillusion, plus capable d’élan que d’endurance. Et ils savaient l’adversaire formidable, admirablement outillé, dressé depuis quarante ans à cette guerre qu’il avait déchaînée. Il serait d’autant plus violent et plus impitoyable que, se sentant lui-même menacé dans son existence, inquiet du lendemain, il avait eu des déceptions diplomatiques qui avaient froissé son orgueil et troublé sa sécurité. Ils savaient enfin que, pressé d’en finir el forcé de frapper dès l’abord des coups décisifs, il allait diriger presque tout son effort contre la France qu’il s’agissait à tout prix d’accabler et de mater en quelques