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À cet incident en succédait un autre. Une commission internationale, désignée par le Congrès de Berlin et réunie à Novi-Bazar, travaillait à la délimitation des frontières turques ; or, au sein de cette commission, les prétentions des commissaires de la Porte étaient presque toujours soutenues par les commissaires allemands. Dans une lettre écrite à son oncle l’empereur Guillaume, le Tsar se plaignit de cette partialité.

La réponse qu’il reçut ne lui donnant pas satisfaction, il répliqua par une dépêche quasi menaçante. Une entrevue entre les deux empereurs imprima promptement à ce différend une tournure pacifique. Mais Bismarck ne se dissimulait plus que la Triple-Alliance avait du plomb dans l’aile ; bientôt après, il signe avec l’Autriche un traité qui, le cas échéant, substituera une alliance austro-allemande à celle des trois cours du Nord et dans laquelle l’Italie viendra remplacer la Russie.

Par suite de ces incidens, qui se succèdent à travers la situation si troublée de l’Europe et que je me contente de résumer, l’attitude du chancelier envers notre pays, et sauf de rares exceptions, comme par exemple l’affaire Schnæbelé, a perdu, au moins en apparence, tout caractère agressif. Au lieu de lui faire la guerre, il s’efforcera de le détourner de toute pensée de revanche et d’éteindre chez le peuple français, au prix de dédommagemens, l’espoir de reprendre l’Alsace-Lorraine. Au Congrès de Berlin, causant dans l’intimité avec les représentans de la France, il leur montrera la Tunisie comme une conquête digne d’ambition et comme le complément nécessaire de nos possessions d’Algérie. Il leur a dit :

— Allez de ce côté ; vous ne m’y rencontrerez pas.

Depuis ce jour, il suit avec un intérêt bienveillant l’extension de notre puissance dans les contrées africaines d’abord, asiatiques ensuite. Quant à lui, il ne croit pas que l’Allemagne soit en état de créer un empire colonial. Un soir a dîner, « repas copieusement arrosé de porto et de vin de Hongrie, » il fait allusion, devant Hohenlohe, à la question des colonies. « Des colonies ! Il ne veut pas en entendre parler. Notre flotte est insuffisante pour les protéger et notre bureaucratie trop inexperte pour administrer ces pays. »

Hohenlohe, qui répète ces propos, lui avait envoyé précédemment un rapport touchant les projets de la France au Maroc.

« À ce propos, raconte-t-il, le chancelier m’exprima