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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/932

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l’oppression allemande, que nous présentent les Oberlé. J’ai revu à la Porte-Saint-Martin la pièce très ingénieusement découpée par M. Edmond Haraucourt dans le romande M. René Bazin. Un acte surtout est du plus grand effet, celui du pèlerinage à Sainte-Odile. Il est très bien mis en scène. On devine, dans la perspective qui se découvre du haut de la montagne sacrée, toute la plaine d’Alsace. On entend les bruits de cloches auxquels répond dans le lointain la voix d’autres cloches qu’apporte la brise venue de France. Les paroles que prononce alors l’oncle Ulrich, l’Alsacien protestataire, pour dire la fidélité sans défaillance et l’espoir irréductible, ont l’accent mystique d’une prière. M. Jean Coquelin, qui est aujourd’hui l’un de nos acteurs les plus populaires, tire au premier plan ce rôle éminemment sympathique : sa rondeur et sa bonhomie narquoise y font merveille.

Puis j’ai repris le roman de M. René Bazin, paru ici même il y a quatorze ans. C’est un de ses meilleurs livres ; et d’avoir écrit un tel livre, cela honore grandement une carrière d’écrivain. En relisant aujourd’hui ce roman, il est impossible de ne pas être frappé de tout ce qu’il contenait de prophétique. Vous vous souvenez de la vision qui nous accueille aux premières pages et que l’auteur y a placée intentionnellement, pour indiquer tout de suite le sens et la portée de son œuvre. C’est la nuit, sur les pentes des Vosges, dans la forêt, que M. René Bazin, en admirable paysagiste, évoque plus qu’il ne la décrit. Dans le silence nocturne, des bruits de pas montent et s’exagèrent ; parfois un éclair s’allume dans l’ombre : c’est lorsqu’un rayon de lune a frappé un objet métallique, pointe d’un casque, lame d’un sabre. Des cavaliers allemands exécutent une manœuvre de nuit. « Redoutable, dit à demi-voix M. Ulrich, redoutable adversaire qui s’exerce jour et nuit. » Telle est la première impression, — la première leçon, — que nous recevons : pour notre vainqueur, à qui sa victoire n’a pas suffi, la paix n’est que la préparation de la guerre, préparation dans l’ombre, sournoise et mystérieuse.

La question des « deux cultures » a, depuis huit mois, fait couler des flots d’encre, et elle fournira, longtemps encore, le thème de dissertations innombrables. Elle est le sujet même de ce livre. Jean Oberlé a vingt ans. Il n’a pas connu, lui, l’Alsace d’avant la guerre. Il n’est pas engagé par le passé, il n’est pas lié par le souvenir. Né après l’annexion, il a été formé par la pédagogie allemande. Qu’est-ce donc qui se réveille en lui, depuis qu’il a repris pied dans son village d’Alsheim ? Quels conseils montent jusqu’à lui de cette terre où dorment ses morts ? Dans les centres allemands où il a été transplanté, il s’est,