on a un peu abusé et qu’il ne faut pas prendre à la lettre. C’est une petite brochure qui date de 1709, et qui a pour titre : Mémoire pour la Franche-Comté. L’auteur anonyme y exprime des idées très flatteuses pour nous, à propos de l’attachement des Alsaciens pour la France. On y lit qu’il est « notoire que les habitans de l’Alsace sont plus Français que les Parisiens », que leur reconquête par l’Empire ne donnerait « qu’un amas de terre morte pour l’auguste maison d’Autriche, et qui couvera un brasier d’amour pour la France », enfin qu’on ne pourrait détacher les cœurs alsaciens du roi de France « que par une chaîne de deux cents ans ».
Ce témoignage serait à coup sûr très concluant, s’il était autorisé et désintéressé. Mais il convient de le ramener à ses justes proportions. Ceux qui l’invoquent [1] l’attribuent au baron de Schmettau, ministre de Prusse, qui aurait distribué cette brochure aux représentans des Puissances alliées contre la France, réunis à La Haye en 1709. Ils s’appuient sur le témoignage des Mémoires pour servir à l’histoire du xviiie siècle, publiés à Amsterdam en 1735 par Lamberty, où il est dit que « ce ministre (Schmettau) présenta au conseiller pensionnaire Heinsius, au prince Eugène et au duc de Marlborough un long mémoire. » Et ce Mémoire, que publie Lamberty, est bien celui dont M. Émile Bourgeois a retrouvé un exemplaire authentique aux archives du ministère des Affaires étrangères. Mais Lamberty ajoute que le Mémoire n’était pas de Schmettau lui-même, car « ce ministre n’hésita point à ajouter le nom d’un qui produisit le Mémoire. » Dès lors que le Mémoire en question n’est pas de Schmettau, il perd déjà beaucoup de son poids. Ajoutons que sa valeur documentaire est très diminuée par son caractère tendancieux : cette brochure a pour but précis de détourner les alliés de la conquête de l’Alsace pour les inciter à celle de la Franche-Comté. Le roi de Prusse en effet n’a rien à gagner dans l’Alsace, qui reviendrait à la maison d’Autriche, tandis qu’il pourrait espérer quelque chose dans la Franche-Comté, dont il est voisin par sa principauté de Neuchâtel. Il est donc naturel que son ambassadeur exagère l’attachement des Alsaciens pour la France et l’inanité de tous les
- ↑ Émile Bourgeois, Neuchâtel et la politique prussienne en Franche-Comté, 1702-1713 (Paris, 1887) ; — Pfister, l’Alsace sous la domination française (Nancy, 1893) ; — Hansi, l’Histoire d’Alsace (Paris, 1912) ; — nombreux journaux.