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particulièrement poussés, soit parce qu’ils symbolisent la mentalité de la résistance belge, soit parce qu’ils fixent le souvenir d’actes intéressans ou instructifs. L’invulnérabilité inexplicable de quelques êtres privilégiés, la discipline de la troupe et le sang-froid des chefs à des momens critiques, les ravages du tir, les effets de la retraite sur des villageois qui croyaient au retour de la victoire et à la libération prochaine du pays, sont décrits par Powell avec la justesse et la sobriété caractéristiques des épisodes « vécus. » De tels croquis ne s’inventent pas. Par exemple, le gendarme qui file en terrain découvert, sous un ouragan de projectiles, pour porter un ordre au loin, et qui s’en revient indemne, qui de nous ne l’a vu et ne l’a complimenté ?

Un jour, je faisais cavalier seul avec ma troupe sur un plateau qui était bien aussi dénudé que les environs d’Anvers avant le siège. Il s’agissait de ne pas laisser les Allemands y progresser, afin de donner aux nôtres le temps d’organiser en arrière un point d’appui pour l’offensive du lendemain. La route bordée d’arbres qui longeait l’arête du plateau était prise de front et de flanc par les rafales ennemies et, à chaque instant, de grosses branches s’abattaient sur le sol. Les balles des fusils et des mitrailleuses, les shrapnells et les « marmites » miaulaient, bourdonnaient et tonnaient comme les instrumens désaccordés d’un orchestre de musiciens fous. Et, sur cette route où les heures me paraissaient longues, je vis arriver un bon gros brigadier réserviste, sous-chef des éclaireurs du régiment, qui faisait à toute petite allure du steeple à travers les branchages. Il s’arrêta devant moi, me tendit un papier et, bien campé en selle, il épongea doucement sa rouge figure réjouie : « Mais descendez donc et terrez-vous, pendant que j’écris la réponse, lui criai-je. Vous ne voyez pas qu’on vous tire dessus ? — Ah ! vous croyez ? » Je m’attendais si peu à tant d’insouciance que j’en restai tout ébaubi. Impassible, il descendit, toujours soufflant, observa d’un air intéressé, mais sans rien dire, les ravages que tireurs et pointeurs ennemis faisaient dans les arbres et sur la chaussée, tandis que je griffonnais un compte rendu concis. Puis il repartit comme il était venu, sans plus de hâte ni d’émotion. J’appris plus tard, avec surprise, que. la vaste cible représentée par le gros brigadier et son roussin était, comme le gendarme de Powell, arrivée intacte à bon port. Ce sont de tels exemples qui démontrent aux gens de guerre