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Au surplus, les troubles de la Fronde, pendant quelques années, ne permettaient guère à l’autorité royale de trop s’affirmer. Pour les contemporains, cette date de 1648, qui marque un tournant décisif de l’histoire alsacienne, ne dut pas faire une très grande impression. On y vit surtout la fin de la guerre, mais le changement de domination se manifesta peu aux yeux médiocrement observateurs. L’Alsace était occupée depuis dix ans par les troupes françaises, et depuis longtemps on ne s’attendait plus à les voir partir. Il y avait pourtant des yeux plus perspicaces. Déjà, au mois de mai 1645, le député de Colmar au Congrès de Westphalie, Jean Balthasar Schneider, mandait à ses commettans : « L’Alsace se tirera difficilement des mains de la France. » À Colmar également, le chroniqueur Nicolas Klein raconte que son oncle, revenant du congrès après la paix signée, coupa court aux félicitations en disant : « Nous deviendrons certainement tous Français, et si je ne dois pas voir cela moi-même, mes fils le verront à coup sûr. Il faut donc qu’ils apprennent tous le français. » Et, dès l’année suivante, le jeune Nicolas, âgé de douze ans, allait en France s’initier aux secrets de la langue de Vaugelas. Mais cette clairvoyance était rare : on voit d’ailleurs qu’elle n’avait rien de très hostile.

La royauté française se trouvait en Alsace en face de deux catégories d’acquisitions. Son autorité se substituait sans conteste à celle de la maison d’Autriche dans les domaines héréditaires de cette maison, c’est-à-dire dans le Sundgau et une grande partie de la Haute-Alsace. Ici, la France acquérait une « possession ». En Basse-Alsace, au contraire, le landgraviat était beaucoup moins un territoire qu’un « titre », conférant des droits féodaux mal définis et un protectorat fort vague sur les dix villes impériales de la préfecture de Haguenau. L’œuvre de la France sera de transformer ce titre en une réalité territoriale, de faire du landgraviat en Basse-Alsace au moins l’équivalent de ce qu’il était en Haute-Alsace, en attendant mieux, mais sans rien brusquer, en respectant même l’immédiateté garantie nominativement à tant de minuscules seigneuries par le traité de Munster.

On comprend après cela une foule de faits qui seraient inconcevables dans nos États modernes. Tous ces États immédiats continuent à être représentés à la Diète et au Cercle du