Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Haut-Rhin, ils paient les impôts de l’Empire et de leur Cercle, ils doivent fournir leur contingent pour les guerres d’Empire, ils portent leurs appels devant la Chambre impériale de Spire, ils prennent le deuil à la mort de l’Empereur en 1657. Est-ce à dire que la France hésite sur son droit et sur la légitimité de l’interprétation qu’elle donne au traité de Westphalie ? En aucune façon. Mazarin écrivait à M. de Vautorte, son envoyé à la Diète de Ratisbonne en 1652 : « La cession de l’Alsace est conçue en des termes qui en donnent clairement la souveraineté au Roi, sans aucune dépendance de l’Empire. » Après quoi, il reconnaissait volontiers, dans les mêmes instructions, que le point de vue allemand était tout autre, et il n’en contestait nullement la valeur. Sans doute, et nous l’avons dit, l’idée que cette ambiguïté pourra servir à l’occasion est pour beaucoup dans cet éclectisme, mais il faut y voir aussi le reflet de conceptions féodales qui n’avaient pas encore disparu. On était habitué aux situations compliquées, mal définies, contradictoires. « Les frontières entre les peuples, dit M. Lavisse, sont à présent raides et abruptes, autrefois elles étaient molles. » Rien de plus juste, et c’est même une des raisons pour lesquelles un changement de frontière était naguère moins douloureux. Il était moins senti, parce qu’il était moins sensible.


Les premiers efforts pour donner à l’Alsace une organisation française ne furent ni immédiats, ni radicaux. Le comte d’Harcourt, nommé tout d’abord lieutenant-général du Roi en Haute et Basse-Alsace et grand-bailli (landvogt) de Haguenau, était un grand seigneur fort mêlé à la Fronde, très accessible aux tentations de l’Empereur qui faisait miroiter à ses yeux l’éventualité d’une principauté d’Alsace dont il serait le bénéficiaire sous la suzeraineté peu gênante de l’Empire, séjournant d’ailleurs rarement dans la province par suite des commandemens militaires qui lui furent confiés durant la Fronde des Princes. Les circonstances étaient éminemment favorables aux velléités d’indépendance des seigneurs et des villes dont la situation était ambiguë. Un des hommes qui connaissaient le mieux le pays, M. de Baussan, neveu de Michel Le Tellier, d’abord intendant des finances à Brisach, puis « intendant de la justice, police, finances et vivres », en Alsace de 1645 à 1655,